Je ne me souviens plus de la date, mais je me souviens de l’enthousiasme. Quelque part dans la première moitié des années 2010, Davy Mourier, présentateur de l’émission 101% (1) de la chaine (feu) NoLife nous évoquait sa récente passion pour le jeu Fantasy Life. L’animateur est réputé pour être ce que l’on appelle un adulescent. Il avait même été l’objet d’un reportage sur Envoyé spécial, qui en rajoutait trois tonnes pour nous faire passer le monsieur comme un déglingué. Mais l'adulescence est une conséquence logique de notre société libérale. La concurrence, même pour faire rêver les gamins, ça marche plutôt bien. Quand on passe la vingtaine, s’apercevoir que l’horizon n’est fait que de comptabilité, de traitement de texte, de pollution, d’élections, de séances de bronzage et de beuveries à la fête des voisins, pour certains d’entre nous, le demi-tour est inévitable. De fait, vous avez déjà entendu cette phrase dans la bouche d’un adulte : J’en étais rendu à quel tome sur One Piece ? C’est normal, rassurez-vous, tout va bien.

Revenons donc au jeu. Sous ses airs mignons, on dira même enfantins, maintenant qu’on a bien posé le contexte, il possédait l’intéressante propriété d’être très addictif. Convaincu par les arguments, je m’y suis consacré. Près de 10 ans ont passé depuis, Davy Mourier avait raison, mais j’abandonne, je ne terminerai jamais ce jeu.

Il n’est, a priori, pas excessivement long. Il n’est pas difficile, au contraire même. Il est bien addictif, comme annoncé. Alors, pourquoi abandonner ? Parce que Fantasy Life n’est conçu que pour ça, être addictif. On y choisit un métier à thématique médiévale-fantastique, puis un second, et on nous balance des petites quêtes les unes derrière les autres pour avancer. Tout est facile, alors on progresse aisément. L’architecture du monde à explorer est plutôt bien pensée. Il y a toujours un lieu à visiter, une petite découverte à faire via un détour, toujours une quête à valider. Comme le tout est mignon, et plutôt bien réalisé, on se sent comme un enfant dans un parc à jouet. En conséquence de quoi, on ne voit plus les heures passer. Zut, déjà l’heure d’aller se coucher ?

Alors, avant de reprendre la partie suivante, naturellement on hésite. Suis-je prêt à perdre une autre journée de ma vie dans ce parc à jouet virtuel ? Un parc à jouet géant, certes, où on nous donne une illusion de liberté. Mais le jeu se résume à deux choses : va faire-ci et va faire ça. Tout ceci a comme un air de déjà entendu avec… le travail au quotidien ? En fait de conte interactif, on y joue l’équivalent d’un lutin du Père Noël ou d’un Oompa Loompa. Fantasy Life, c’est du boulot à la con, mais très bien maquillé. Il n’y là-dedans aucun message, aucune histoire. Peut-être y-a-t-il une conclusion intéressante au bout de l’aventure, comme celle du Professeur Layton, autre jeu de la firme Level 5. J’en ai eu marre de jouer monsieur tout-le-monde. Je veux des jeux incarnés, je veux de l’épique, je veux qu’on me raconte des choses. Face à un film de Walt Disney d’à peine 1h30, le conte de Fantasy Life est donc bien trop chronophage pour que je l’autorise de nouveau à m’y enfermer.

Mais comme Nobuo UEMATSU est crédité aux musiques, je me suis tout de même intéressé à sa bande son. A l’oreille, sauf rares exceptions, difficile de reconnaitre le maestro. Nous sommes devant une abondance de thèmes bucoliques. Blue Dragon, Final Fantasy IX, Tom Sawyer ou Apple Town Story ont laissé des traces ici. Les instruments laissent régulièrement leur place à différents effets sonores. Toute la panoplie du clown y passe. C’est surtout l’esprit de 10 Short Stories que l’on retrouve ici (la toute dernière piste est d'ailleurs reprise de cet album). L’OST s’autorise tout de même quelques libertés, et sort parfois un peu du carcan infantile. Mais comme on s’est rapidement lassé du jeu, on s’est également rapidement lassé de ses musiques.

L’OST de Nobuo UEMATSU n’est, en définitive, que l’un de ces nombreux marqueurs de récompense dont le jeu nous abreuve pour nous empêcher d’éteindre la console. A l’image des bruitages, des objets, des points d’expérience ou des lieux à explorer, elle ne sert qu’un dessin addictif. Le rythme hyperactif du jeu nous fait régulièrement passer d’un thème musical à un autre. Mais la linéarité du double CD, qui ne nous permet plus de zapper les pistes au rythme de notre progression, nous impose le constat d’une prison pour enfant. Tout ceci est très joli, mais au bout de 63 pistes, nous n’avons fait que tourner en rond. Le second CD s'en sort mieux que le premier. Mais trop de "tune", de jingles, de fanfares, de "Exciting blablabla" et de "Victory trucmuche" nous ont été assénés au bout de cette épreuve très colorée. Ca colle très bien au jeu, mais ça colle surtout très bien aux dents.

Je ne doute pas que des milliers d’enfants ont dû y trouver leur compte. Ma sœur a regardé la Belle et le clochard en boucle toute son enfance. Ma nièce est actuellement en train de faire de même avec Mon Voisin Totoro. A mon époque, il n’y avait pas de magnétoscope, mais j’avais un lecteur de cassettes audio. Je vous renvoie donc aux chroniques de la symphonie n°40 de MOZART, de Malicorne 2 ou d’Urba de TRI YANN pour de plus amples explications. Nul doute que des enfants ont trouvé leur compte à tourner en rond dans Fantasy Life, sans trouver quoique ce soit à redire à propos de ses musiques. Tout cela est très mélodique, très catchy, fait pour plaire instantanément.

Les psychologues vous valideront tout ceci. Que les enfants s’approprient un univers virtuel qu’ils font leur en les reparcourant en boucle, rien d’anormal. Mais la différence entre un enfant et un adulescent, c’est l’expérience et la liberté. Je joue toujours, mais je joue à ce que je veux, quand je veux, de la façon que je veux et en quantité qui me convient. Les marqueurs de récompense, tels qu’on les trouve en surabondance dans les jeux-vidéo aujourd’hui, dans l’unique but de vous faire dépenser plus (ou jouer, c’est pareil, réfléchissez), je commence à trop facilement les détecter, et à fortement m’en lasser. L’OST de Fantasy Life, comme le sucre qu’on nous planque dans les plats préparés, est un parfait exemple de cette dérive addictive maquillée.

(1) Les vrais savent à quoi le nom fait référence…