Lorsqu’il enregistre The Clown en 1957, Charles MINGUS fait déjà parti des noms qui comptent dans le monde du jazz. Ses Jazz Workshops, ateliers d’improvisations en groupe ayant une longueur d’avance sur le free jazz, et ensuite son premier album en tant que leader enregistré pour le label Atlantic, Pithecanthropus Erectus, ont fait connaître sa forte personnalité, aussi bien auprès de ses collègues musiciens que du public. Physiquement imposant mais encore plus imposant de par sa grande gueule, c’est l’une des figures incontournables de la scène new-yorkaise, que l’on vient voir plus dans l’espoir qu’il fasse le show en s’engueulant avec ses musiciens sur scène que pour l’écouter jouer.

C’est justement cela qui l’inspire pour cet album. L’histoire ne dit pas s’il avait vraiment besoin de choisir une pochette capable de détrôner bien des groupes de métal dans la catégorie « pochette la plus flippante ». A quand un cross-over CANNIBAL CORPSE / Charles Mingus ?
Il est entouré par le tromboniste Jimmy KNEPPER (collègue de Gil EVANS), de l’ancien saxophoniste de Charlie PARKER Shafi HADI, du pianiste Wade LEGGE (on le retrouve chez Sonny ROLLINS) et enfin de Dannie RICHMOND à la batterie, le musicien qui lui est resté le plus fidèle. Quoi de mieux que "Haitian Fight Song" pour faire les présentations ?Chaînon manquant entre le jazz et le cinéma, ce morceau commence avec la contrebasse qui se rapproche en imitant les clameurs d’une foule en colère et lorsque celle-ci entre dans le cadre les instruments explosent pour signifier sa colère. La tension ne retombe pas d’un pouce pendant les solos –notez celui de MINGUS, absolument exceptionnel- et ne se calme que dans les tous derniers instants. Ce genre de morceau très cinématique est un peu la marque de fabrique de MINGUS qui aimait peindre des tableaux très vivants dans ses compositions. Il enregistre d’ailleurs Tijuana Moods la même année, son chef-d’œuvre en matière de jazz cinématographique, même si le disque ne sort qu’en 1962.
A l’autre bout du disque, se trouve un second disque ambitieux. A l’image de ce que fera le VELVET UNDERGROUND avec "The Gift", "The Clown" est un morceau en spoken-word avec l’humoriste américain Jean SHEPHERD à la narration. Le thème du texte rejoint ce que je disais en intro, faisant référence au sentiment qu’avait MINGUS de n’être là que pour amuser son public pendant les concerts, alors qu’il voulait toucher l'âme des gens avec sa musique. Un sentiment sûrement exacerbé par les troubles bipolaires qui l’affligeaient.

Les quatre pistes entre ces ceux-là font office de bouche-trous (en comptant les pistes rajoutées sur la réédition CD). Elles sont moyennes : l’hommage à Charlie PARKER "Reincarnation of a Lovebird" est plus un exercice de copie qu’autre chose, "Passions of a Man" et "Tonight At Noon" des bops assez standards. "Blue Cee" sort du lot en étant le premier blues enregistré par MINGUS. Non pas parce qu’il en avait envie mais parce qu’il n’avait pas supporté d’entendre ses musiciens dire qu’il était incapable de jouer des rythmes blues et voulait leur prouver qu’ils avaient tort.
En-deçà de son prédécesseur, The Clown vaut le détour pour un titre : "Haitian Fight Song". Si vous avez aimé "Ysobel’s Table Dance", impossible de ne pas aimer celui-là. Heureusement, il ne faudra pas attendre longtemps avant que MINGUS nous propose quelque chose de plus enthousiasmant.