Charlie PARKER fut au jazz ce que le Big Bang fut à l’univers : une explosion, une fulgurance, une création, une naissance. C’est si tentant, si facile de l’affirmer quand on considère son héritage ! Mais ce n’est pas vrai, évidemment. Le jazz a eu une vie avant Bird et dans ce monde qu’il n’avait pas encore secoué comme un cocotier, vivait un jeune artiste ambitieux du nom de Charles MINGUS.

A l’époque, il noircissait déjà des pages de compositions, et il terrorisait ses collègues avec son caractère lunaire. Lui ne jurait que par un seul nom, Duke ELLINGTON, qui n’avait de Duc que le nom car il était en réalité le Roi, le Roi du Big Band, le roi du swing, le roi du jazz, bref, le roi du monde.
C’était une place qui faisait évidemment envie au jeune MINGUS, mais son caractère fièrement indépendant lui interdisait de suivre bêtement les pas de son aîné. Les idées ambitieuses qui allaient le rendre célèbre étaient déjà avec lui. Par exemple, il joue déjà en contrepoint, l’une de ses techniques de prédilection qui consiste à superposer des lignes mélodiques distinctes en jouant deux morceaux en même temps. En des termes moins savants, on peut dire qu’il s’agit d’un medley, une fusion entre deux morceaux. Un procédé ambitieux mais encore mal vu par le public.

Toutes les pages qu’il noircit de notes, les voici présentées dans cet album. Mais pas telles qu’elles ont été écrites : si nous sommes à l’aube d’une nouvelle décennie, ce ne sont pas les années 50 mais les années 60. Nous retrouvons notre jeune artiste, maintenant moins jeune, mais définitivement établi parmi les grands du jazz. Ayant redécouvert ses anciennes compositions, MINGUS décide de leur donner une nouvelle jeunesse en les dépoussiérant. Il les remanie en y ajoutant le poids de l’expérience acquise entretemps, ce qui veut dire que le swing d’ELLINGTON est supplanté par celui de MINGUS, à base de mélodies complexes et de solos forts en chocolat. Sur ce jazz d’un autre temps, il appose le tampon de son propre jazz, plus ambitieux, celui présenté sur « Mingus Ah Um ». On l’entend sur "Bemonoable Lady" et "Prayer for Passive Resistance" que l’on croirait sorties des outtakes de Ah Um. Avec d’ailleurs un solo de toute beauté d’Eric DOLPHY, le joker de MINGUS. Il en remet une couche avec "Weird Nightmare", un morceau discret qui est la petite perle cachée du disque. Sans oublier bien sûr ces fameux morceaux en contrepoints : "Take the A Train" et "Exactly Like You" se retrouvent réunis pendant que "Do Nothing ‘Til You Hear From Me" valse avec "I Let A Song Go Out Of My Heart". C’est moins prometteur que le concept mais c’est quand même sympa. Un peu court, peut-être.

Voici un interlude plutôt sympathique que l’on écoutera avec plaisir. Ça permet surtout de rappeler le chemin parcouru par Charles MINGUS depuis ses premiers albums.