Les renforts sont arrivés. Dommage qu'Anthony Philips n'ait pas voulu continuer l'aventure, mais on ne peut bien sûr pas dire que Steve Hackett soit un mauvais remplaçant. Quant à Phil Collins, on peut penser qu'il n'a pas été engagé uniquement grâce à la qualité de ses blagues... il est en vérité un extraordinaire batteur. Ces deux-là ont nettement rehaussé le niveau de l'interprétation et des arrangements du groupe.

Après être passé par un moment difficile où il a survécu grâce à l'intérim du guitariste Mick Barnard, Genesis s'est relevé en adoptant un style plus varié qu'auparavant. «Looking for someone» et «The Knife», sur Trespass, regardaient déjà dans la direction du prog théâtral, mais la mutation est complète sur Nursery Cryme. Notons qu'on peut raisonnablement penser qu'ils ont également enrichi leur vocabulaire à l'écoute de Van der Graaf Generator, leurs collègues chez Charisma.

Les chansons de Nursery Cryme sont parfois encore un peu brouillonnes, les enchaînements harmoniques parfois encore un rien trop rapides... c'est simplement parce qu'ils n'avaient pas encore de sessions d'écriture, les chansons se construisaient au fil des tournées comme chez beaucoup de groupes débutants. Tout de même, une telle créativité, un tel sens de l'harmonie et de la structure tiennent du miracle alors qu'aucun d'entre eux n'avait plus de 21 ans à l'époque. De nouveau, seul Peter Hammill me semble avoir eu les mêmes qualités qu'eux.

Quant aux paroles, elles sont indissociables de la musique, comme on a rarement pu le ressentir. L'album est un peu conceptuel, il aligne des contes fantastiques de Peter Gabriel, aussi amusants que tragiques, comme l'indique le titre Nursery Cryme. Entre l'histoire d'une fille qui décapite un ami en jouant au croquet («The musical box»), celle du cuisinier qui sert ses orteils pour le thé («Harold the barrel»), celle d'Hermaphrodite fusionnant avec la nymphe Salmacis, le plus étonnant est sans doute l'invasion des berces du Caucase (en anglais giant hogweed)... ces plantes vénéneuses sont une vraie plaie de nos jours, et Genesis les dénonçait déjà il y a quarante ans.

Tous les albums de Genesis sont différents. Nursery Cryme est sans doute le plus fou et le plus spontané, et donc un des plus difficiles à apprivoiser. Il faut l'écouter plusieurs fois, découvrir les détails, suivre les méandres de la musique pour finalement comprendre, peut-être, ce qu'est le génie collectif de Genesis.