La vieillesse est rarement valorisée, mais elle confère parfois une sorte de respectabilité. Je pense à des personnages qui ont peu varié au cours de leur vie et qui, le temps venu, maintiennent par leur parole certains repères dans des moments où ils ont tendance à se brouiller. Par exemple, Stéphane Hessel : ce n’est pas tellement pour ce qu’il disait, qui a été dit ailleurs des milliards de fois et parfois mieux, qu’il a eu un tel retentissement. Mais plutôt parce qu’il était vieux et qu’il rappelait quelque chose du temps long, du combat humaniste qui dépasse les vies individuelles. Il me semble qu’une chose similaire est arrivée à Pierre PERRET récemment, lorsqu’il a sorti cette chanson moqueuse sur le Covid. Au-delà de son talent et de la qualité de cet ouvrage, je pense que c’est aussi parce que c’était un vieux de la vieille qui se permettait de renvoyer la balle au pouvoir dans ce grand foutoir que ce morceau a fait tant de bien à autant de personnes. Record de vues au compteur actuel du succès ; par conséquent, réintérêt des médias qui ont fait de nouveau une petite place à notre quasi nonagénaire dans leurs productions. Le fer étant chaud, quelques autres chansons ont été lâchées sur la toile, notamment une deuxième sur le coco qui a aussi fait beaucoup de bien par sa perspective plus optimiste, ou encore une sorte de bilan de sa carrière en guise d’adieu provisoire.

Ces trois titres figurent en supplément du nouvel album sorti dernièrement, une livraison qui pourrait bien être la dernière si l’on en croit le chanteur qui commence ouvertement à évoquer la perspective d’arrêter son ouvrage. Il faut dire qu’il aura 90 ans cet été ; même si jusqu’ici il tient une forme bluffante, il est clair que la fin n’a jamais été aussi proche. Il en parle de façon drôle et touchante dans la chanson-titre, un vrai début en fanfare. Pleine d’autodérision, "Ma vieille carcasse" fait mouche par son côté autobiographique, par sa façon d’aborder les inconvénients de l’âge sans s’en apitoyer. A rebours d’ailleurs de ce qu’il avait annoncé dans "Papyvole" en 1986, premier et acide portrait des vieux qu’il avait fait quand il n’y était pas encore. Devenu âgé lui-même, il trouve encore le moyen d’en rire et transmet ainsi une petite dose de vie.

Mais bon la vieillesse n’empêche pas de faire des conneries. Choisir "Paris Saccagé" comme tête de pont de ce disque en est une belle. Je ne me prononce pas sur le fond de la chanson, je ne vais pas assez à Paris pour avoir un avis sur l’évolution récente de son entretien. Mais elle a pour le coup un côté vieux con qui ternit un peu ce dont je parlais précédemment. Surtout, était-ce bien la peine de sortir ça dans un contexte autant propice à la confusion et à la récupération ? Entendre un ancien sous-commentateur de foot devenu roi des discussions de bistrot se réjouir de ce texte tout en faisant un lien perfide avec les populations se battant à ce moment-là pour leurs droits a été pour moi la preuve de l’erreur. But contre son camp.

Surtout que ce gros réac' n’a certainement pas entendu "Les larmes des pauvres" ou "On vient habiter chez vous", pourtant beaucoup plus représentatives des positions de Pierre PERRET depuis maintenant fort longtemps. La première dans la veine sérieuse dont il a déjà tiré pas mal de réussites, comme c’est à nouveau le cas ici. La seconde dans son éternel côté satirique et moqueur, dont on sent clairement qu’il vise entre autres la clique du personnage précédemment évoqué. On peut aussi ajouter à la collection des textes concernés par le monde "Le peuple africain" et surtout "C’est la vie", à mon avis la plus grande chanson de ce dernier disque. Il y repart des problèmes intestinaux de sa vieille carcasse pour arriver à des sujets beaucoup plus tragiques, sur une mélodie immédiate et superbement orchestrée.

On retrouve ici l’impeccable accordéon de Lionel Suarez mais surtout les nombreux instruments des OGRES DE BARBACK. Ces derniers ont superbement arrangé l’album, on n’en attendait pas moins d’eux. C’est toutefois Pierre PERRET qui a tout composé, on y entend clairement sa patte habituelle. Le boulot des frères et sœurs Burguière donne une cohérence musicale à l’ensemble et habille ces partitions de sonorités qui leur vont bien, dans toute la diversité instrumentale dont ils sont capables. C’est un des vrais points forts de cet opus, qui équilibre parfaitement un point faible auquel on ne peut malheureusement plus grand-chose : celui de la voix qui commence à sérieusement faire son âge.

A côté des chansons humanistes, on trouve le fond de boutique habituel de Pierrot : chanson d’amour, chanson rigolote, chanson gaillarde… Du plus ou moins bon. On a l’impression d’avoir déjà entendu le vieillot "Les dictons de papa", dont l’humour reste un peu collé au sol. "La fille d’à côté" est plutôt bien faite mais elle restera à mon avis quelque peu anecdotique au regard du camion de très bonnes chansons de ce type écrites précédemment. Par contre, "Le destin" est une bonne surprise, plus inventive et énergique. Une dernière poussée de sève pour ce disque globalement sympathique. Il restera un bel épilogue si d’aventure il devait s’avérer que les adieux soient moins provisoires qu’annoncés.