Drôle de parenthèse que Holland, enregistré sur une autre côte ouest, avec une autre étendue d'eau tumultueuse, cette chère mer du Nord (au point que Jules Verne y fait disparaître le capitaine Nemo et son Nautilus dans Vingt Mille Lieues Sous les Mers) ! Les remous les plus importants pour les BEACH BOYS sont alors ceux de leur public néerlandais, alors que ceux des U.S.A. les boudent, et ils ont déclaré y avoir été positivement sensibles.

Par ailleurs, comme pour les artistes britanniques que cela attire au même moment, les taxes aux Pays-Bas sont beaucoup moins importantes et le manager Jack Rieley se démène pour trouver les solutions adéquates face à une équipe qu'il aime mais qui a bien du mal à joindre les deux bouts. Surtout, une fois de plus, la tête pensante, Brian Wilson, est là sans être là, n'écrivant que peu et gardant juste de quoi faire un mini-album séparé qui est un... conte de fées musical (on y reviendra).

Brian co-signe les premier et dernier morceaux de Holland (1973), enregistré dans un studio importé de Californie dans le petit village de Baambrugge, entre Amsterdam et Utrecht. Pour autant, "Sail On, Sailor" se démarque dans l'oeuvre des BEACH BOYS pour n'être chanté ni par Brian ni par aucun ancien membre en lead, mais par Blondie Chaplin. Sa voix caresse un blues lent d'aspect traditionnel mais très communicatif, y compris dans son effet rétro léché, au contraire de ses arrangements 'ondulants' (synthétiseur Moog compris) et des choeurs qui évoluent joliment. Sur le dernier morceau "Funky Pretty", lui aussi co-écrit de manière collective, on ressent à nouveau, et grâce à Carl Wilson cette fois, l'envie de porter les canons vocaux dans un bon délire pop cosmique.

C'est l'entre-deux qui nous livre toute la saveur de cet album hollandais, vraiment dans la haute qualité de ce que les BEACH BOYS ont à dire, bon an mal an, en ces années 70 qui tendent à les ringardiser. Bien que sous-employés en studio, les nouveaux Blondie Chaplin et Ricky Fataar laissent encore (et pour la dernière fois) une belle empreinte avec "Leaving This Town", slow soul classique peut-être un brin aride par rapport à la merveille absolue qui le précède (on y revient), mais avec un pont particulièrement délicieux (ce petit crescendo avec les congas et l'ARP Odyssey, ce canon vocal conclusif a-cappella).

Bien qu'interprétés par le génial Carl, les deux perles "Steamboat" (marche lente et onirique ponctuée de guitares fines et de piano Wurlitzer) et "Only With You" (aux arrangements d'autant plus raffinés que cette chanson à base folk est déchirante) sont écrits en grande partie par Dennis Wilson. Le beau blond surfer, quoique toujours sur la corde raide, a de la ressource et s'impose en force.

Et c'est avec des éléments de compositions inédits que Holland se distingue, atteignant parfois le niveau de
Surf's Up (1971), le plus précieux. Et même les sceptiques des débuts des BEACH BOYS, comme les anti-Mike Love, ont de quoi s'incliner face au talent dont il fait preuve dans l'écriture du premier mouvement de la "California Saga". Cette suite est un travail commun avec l'ami Al Jardine autour des poèmes de leur compatriote écrivain Robinson Jeffers.

À croire que l'éloignement géographique facilite cette déclaration d'amour au littoral le plus célèbre du monde, plus encore que quand ils y vivent à plein temps ! Rien de plus charmant que le trois temps rythmique country de "Big Sur" avec la voix de Mike, le tapis magique de choeurs nasaux sur le refrain, les monologues plutôt bien ornementés (dont la seule prestation de Brian en lead pour ce disque), la pop-folk "The Beaks of Eagles" partagée entre Al et Mike, les résonances d'orgue et de flûte traversière, enfin le débouché adolescent de "California", visant à rappeler le tube "California Girls" avec sax, harmonica, banjo mais aussi synthé Moog baveux joué par Carl. Brillant !

Mais Carl, une fois de plus, aidé par le manager Rieley, signe parmi les plus beaux joyaux de l'album, de la décennie voire de la carrière des BEACH BOYS : "The Trader" est, au même titre que "Feel Flows" (extrait de Surf's Up), un des moments qui suspendent le temps et en font ce qu'ils veulent, qui pourraient ne jamais s'arrêter tant leur beauté défie toutes les lois. De pop-song efficace, très cool avec choeurs des plus identitaires, un effet de vagues et une utilisation du Moog assez incroyable dans des sonorités bluesy. Et Brian crée les arrangements vocaux, avec sa femme Marilyn pour participation directe, tandis que le propre fils de Carl, Jonah, est audible dans l'intro.

Tout s'interrompt au milieu au profit d'une accalmie avec Fataar qui attrape ses balais pour tâter autrement de ses fûts, Carl qui passe au Wurlitzer, pour partir dans un univers encore plus rêveur, avec des relâchements et reprises savoureuses jusqu'à la fin, sans jamais revenir à la chanson de base. En plus d'être un chef-d'oeuvre, une chanson dans la chanson. Les BEACH BOYS sont vraiment alors des stars qui ont faim et prouvent autant voire plus de choses que quand ils ont démarré. Un groupe inestimable, la preuve en un seul morceau, raison suffisante pour écouter un album qui regorge de pépites. Et qui, merci bien, connaît un joli succès, même si point définitif.

Note réelle : 4,5