Love You est un album surprenant des BEACH BOYS, comme un oasis en plein désert, un regain d'inspiration assez incroyable dans une période décriée, de 1976 à 1980, où ils en sont de nouveau à un album par an. Après 15 Big Ones, il est vrai beaucoup trop léger et constitué essentiellement de reprises, Love You a un caractère d'ovni, et si ce n'est pas un chef-d'oeuvre, c'est au moins un élément convaincant par bien des aspects.

Brian Wilson, de nouveau pilier central créatif de la formation après des années dilettantes, affirme que, pour découvrir les BEACH BOYS, après Pet Sounds, c'est celui-ci qui convient, son favori par ailleurs. Pas mal de fans voient en cet album non seulement un écho au grand classique de 1966, rattrapage d'anniversaire quelques mois après que cela a échoué avec 15 Big Ones (sans parler des quinze ans d'existence du groupe), artistiquement parlant du moins (les ventes étant plus qu'au rendez-vous), mais aussi un nouvel élément pionnier. Love You serait en effet le premier disque de... synthpop !

Tout comme Pet Sounds, il était pressenti pour être un album solo de Brian. Celui-ci, qui a carte blanche pour les arrangements et la production en toute sérénité, s'inspire de Wendy CARLOS, icône des synthétiseurs en musique contemporaine et notamment dans ses réinterprétations de grands classiques (BACH, PURCELL pour Orange Mécanique de Stanley Kubrick). Des basses Moog et ARP, il en parsème tout un tas de chansons écrites sous forme autobiographique, depuis son enfance à sa vie de mari et père en passant par la sexualité adolescente. Une grande part du public, qui n'a (de nouveau) cette fois point soutenu le projet, s'attarde d'ailleurs trop à l'époque sur ce critère-là, et seul le temps permet à ce disque d'être reconsidéré.

Brian seul à la réalisation ou presque : Dennis Wilson complète 'enfin' son album solo, Pacific Ocean Blue, tandis que Carl Wilson est devenu un producteur actif. Mike Love et Al Jardine participent à l'écriture d'un seul chacun ("Let Us Go on This Way" et "Good Time" respectivement ; "Ding Dang" a même été composé durant une jam session entre Brian et Roger McGuinn, la tête à penser des BYRDS ! Côté chant en revanche, tous sont bien présents à différentes échelles, en solistes, duo, trio et bien sûr choeurs.

L'équilibre est donc à compter parmi les qualités de Love You, autant que la mise en avant du processus créatif dès les premières mesures du formidable "Let Us Go on This Way" chanté par Carl puis Mike. Saxophones et basse-synthé soutiennent l'orgue sur un début agressif, adouci au moment des refrains en choeur. "Mona" et ses cloches tubulaires en plein shuffle blues roulant sont un clin d'oeil, tout comme les paroles, à Phil SPECTOR, ce monstre sacré que Brian lui-même a fini par surpasser. Elle est chantée par notre cher Dennis, tout comme l'insolente "I Wanna Pick You Up", qui sonne comme de la pop romantique bien rose, accordéon en prime, sauf qu'il est question d'objet érotique vu par un ado et ancré dans les contours sensuels d'une femme.

Outre celle-ci, les ballades sont à l'honneur telles "Love Is a Woman" où Brian, Mike et Al se succèdent au chant, où le saxophone ténor est omniprésent ; "The Night Was So Young" si joliment colorée, tout comme sa petite soeur directe menée par les trois frères Wilson, "I'll Bet He's Nice" et ses touches félines. On retient toutefois avant tout "Let's Put Our Hearts Together", piano normal pour une fois et claviers grésillants derrière la voix fortement éraillée de Brian, sans doute pensée comme contrepoint à la réponse féminine du plus bel effet. Marilyn Wilson, son épouse, est en effet bien présente comme jamais par rapport à tous les titres des BEACH BOYS sur lesquels elle a offert ses choeurs. Ironie du sort, ce titre qui les rapproche précède de deux ans leur divorce.

Et donc, comme si cela ne suffisait pas, outre ces rock teenagers festifs par des trentenaires bien sonnés ("Ding Dang"), ces shuffles inventifs ("Johnny Carson") occupant déjà une belle place dans l'album, on trouve quelques titres démentiels. La baroque "Solar System" devient littéralement cosmique grâce aux synthétiseurs, en toute logique par rapport au thème choisi. "Good Time" et sa pop roulante sont enrichies de fanfare, accordéon, percussions etc, aussi brillants que les batterie et guitares tranchantes de "Roller Skating Child", le gros son cyber-rock de "Honkin' Down the Highway" et son synthé à 'deux-trois notes' intelligent.

Que dire encore de "Airplane", doo-wop bien à la BEACH BOYS reprenant à la fois tous ces éléments et tenant quand même à nous surprendre, avec un compte à rebours en plein final et une coda inattendue ? Si les compositions apparaissent moins riches qu'au début de la décennie, plus uniformisées dans leurs arrangements, ce critère-là se trouve même finalement rattrapé par-ci par-là. Love You, qui n'atteint qu'une timide 28ème place dans les charts américains, marchant fort bien en Suède, a eu ses défenseurs directs où le mentionnant dès que l'occasion s'en présente, comme Lindsey Buckingham (FLEETWOOD MAC) sans surprise, au contraire de quelqu'un comme Peter Buck, guitariste d'R.E.M. ! Il est clair que c'est l'un des albums des BEACH BOYS à redécouvrir absolument, même si fait pour être savouré différemment d'un Sunflower ou d'un Surf's Up.

Note réelle : 4,5