Ca va vous paraître curieux, voire provocateur, mais il existe un point commun direct entre GOLDMAN et Dieudonné. Mettons totalement de côté leurs personnalités et leurs opinions diverses, et ils ont pour particularité d'être tous deux surnommés dans le métier 'le patron'. Qu'on soit d'accord avec lui ou pas, et c'est souvent pas, Dieudonné a le mérite, quand il écrit un spectacle, de développer une mécanique du rire impitoyable, avec des textes ciselés 36 carats et un sens du rythme ineffable. Tous les comiques s'inclinent. Et GOLDMAN ? Depuis son excellent dernier album en 2001, il n'a fait que bien trop peu preuve de talent, dilapidant quelques médiocres autorepompes chèrement revendues à des chanteurs en manque de reconnaissance. Mais lorsque Céline lui demande d'écrire la première chanson post-décès de René, ben désolé, mais GOLDMAN, c'est le Patron. Avec le P majuscule.

Encore un soir n'est pas un disque abominable. Soyons sérieux, Céline a déjà fait pire et, c'est plus problématique, refera probablement pire, c'est à parier. Mais s'il n'y avait qu'une seule raison d'acheter ce disque, ce serait évidemment son morceau titre. Le texte (c'est Baker qui écrit ça), les arrangements, la mélodie ultra connue MAIS pas foutu de savoir sur qui c'est pompé - donc, c'est pas pompé, CQFD -, même la voix totalement différente du reste : cette chanson trône au-dessus de l'album, impériale, toute-puissante. Elle est un des meilleurs morceaux de toute sa carrière. Et forcément, à côté, le reste pâlit.

Pourtant, des efforts ont été fournis. Pour débuter le 33-tours (gravé à la hache), on n'a pas fait appel à moins que Serge LAMA et Francis CABREL. Il y a pire. Et effectivement, "Plus qu'ailleurs" est tout à fait jolie, sobre, bien fichue. Le refrain est probablement ce que CABREL a écrit de plus mélodiquement intéressant depuis des années (NdFrancis : "Je vous l'ai dit, que j'avais eu beaucoup de mal à écrire mon dernier album ? Ah ? Même ce matin ?"). Autre chanson René-me-manque, "Si c'était à refaire" a pour elle un classicisme de bon aloi, car oui, parfois, être classique, sans aucune originalité, ça fait du bien. On dirait du Michel BERGER, il y a pire, vous ne trouvez pas ? Et la fin d'album, la vraie fin, est un "A la plus haute branche" qui à force de minimalisme et de simplicité finit par carrément toucher au coeur, une vraie belle réussite.

4 chansons très jolies, dont une carrément canon, sur l'après-René en mode confessions, franchement, ça le fait. C'est après que ça se gâte. Beaucoup. Passons sur les titres anecdotiques, comme "Toutes ces choses" qui veut faire son inventaire à la Prévert mais ressemble à la liste des courses pour Lidl. Non, le souci de cet album, c'est qu'il a fallu faire.. un album. Et appeler les copains à la rescousse. Eux, et Autotune (le mot "moral" sur "Ma faille" est à lui seul une raison de bouder Céline).

Et quand les copains s'appellent ZAHO, Florent Mothe et GRAND CORPS MALADE, ça donne des catastrophes. Du r'n'b djeunz sursaturé avec de l'oversinging partout, des gros synthés bien crados, des envolées lyriques totalement gratuites, du 'bon son' immonde. Si "L'étoile" peut encore passer avec son côté racoleur mais au moins fonctionnel, ça se gâte avec "Ma faille" : c'est limite épique, ce qui serait un bon point, sauf que ça oscille sans cesse entre des orchestrations au cordeau, super précises et méga-bien foutues, détruites par des cris de barbares scandinaves païens. Rendez-vous compte que quand elle chante, Céline fait tant saturer que sur certaines chaines hi-fi, le son se coupe ! Mais bon, on ne dit pas #musicisdead. Elle n'est pas 'dead', la musique, on va dire qu'elle est comme René : stable.

"Tu sauras" est dans le même moule r'n'b répétitif et chiant, "Les yeux du ciel" est atroce, le refrain "digne" de BIGFLO & OLI, bref, ça vole très bas par moments. Mais le pire est encore lorsque, loin du jeunisme, elle essaye de faire du néo-jeunisme : "Ordinaire" (...sans plomb, oui !) est un des pires titres de Céline, des années 2010, de tout ensemble cohérent et fini. Le style de REGGIANI, la voix trafiquée qui essaie de faire sa Patricia KAAS, le texte misérabiliste à la PIAF et la plaintivité, oui, néologisme, à la Isabelle Balkany, c'est un festival de merde, du liquide, du solide, du schmouteux, ça veut faire chialer la mer du nord avec trois sprays au poivre que même pour défendre le Fouquet's Castaner aurait pas osé. Bref, c'est une tragédie grecque, solo heavy metal ou pas. Imaginez le "Poème sur la 7ème" de JOHNNY : sur une échelle allant de NIRVANA Unplugged à MEAT LOAF symphonique, "Poème" serait... du Brian ENO minimaliste expérimental. Et Céline, sept fois MEAT LOAF en mode Karajan et en Dolby Atmos. Voilà. Bon appétit.

Vous l'aurez compris (sinon, c'est que je suis un mauvais chroniqueur, auquel cas n'hésitez pas à remplir le cahier de doléances), Encore un soir est un disque sans juste milieu, avec 4 très bonnes chansons et le reste, derrière, loin derrière. Ce qui fait le plus peur, c'est la suite : OK, René est mort, d'accord, on va passer à autre chose. Et à votre avis, en vous remémorant Loving Me Back To Life, pour le prochain, qu'est-ce que Céline va choisir ? Le pire, c'est que cet album est sorti en édition limitée et qu'icelle loin de répondre aux questions en pose d'autres.

Trois titres en bonus. Un de ZAHO, putassier, très, trop. La limite est franchie, les cuivres font François FELDMAN, et s'il y a plein de qualités, "A vous" est une fan-song trop racoleuse, trop énervante, et puis oh ! tu veux dédicacer une chanson à tes fans ? Chante. Sans autotune. Parce que le final, c'est désastreux. Une autre chanson bonus, attention surprise, écrite par VIANNEY. Eh ben malgré son côté très classique limite facile, "Ma force" est un des meilleurs titres de l'album. C'est bien fait, outrageusement mignon, et puis eh, j'aurai attendu 45 ans pour entendre Nathan East jouer du VIANNEY (si). La dernière bonus track ? Elle est géniale. Et nulle. Et très discutable. Il s'agit de "Trois heures vingt", telle quelle, juste un petit remaster. C'est une chanson géniale. C'est le plus bel hommage qu'elle pouvait rendre à René.

Et ça finit de plomber cet album car, le morceau-titre mis à part (merci Patron), "3h20" est de loin la meilleure chanson du disque. Et si beaucoup d'efforts ont été déployés, on se demande vraiment ce que Céline nous prépare. Entre "3h20" et "Encore un soir", il y a eu trente ans de carrière, des hauts, des bas, plus de bas à mon avis que son talent aurait laissé supposer. Qu'est-ce qui a pu foirer entre les deux ? Une volonté de coller à l'actu, d'être présente, maladive, obsessionnelle.
Encore sn soir est un disque moyen et brouillon. Mais il possède encore des garde-fous. Ce n'est ni l'heure ni le lieu, mais permettez-moi d'émettre de sérieux doutes quant à la viabilité de l'album suivant.