La vraie question en insérant Oh Mercy dans le lecteur CD est simple. En quoi est-ce un album majeur de Dylan ?
C’est le chanteur d’une certaine façon qui apporte la réponse la plus évidente dans Chroniques, le tome 1 (et le seul pour toujours de ses souvenirs ?). Il consacre de longues pages à la gestation des chansons à la Nouvelle Orleans, ponctuée de virées à motos et de consommation d’alcool.
Au-delà de cet aspect, d’autres paramètres objectifs peuvent être avancés.
Le début des années 1980 annonce la période chrétienne de Dylan, et les disques deviennent de longs prêches, les textes semblant sortir de cantiques piochés dans l’Ancien Testament. La fin de cette période en 1983 est marquée par Infidels et des thèmes proches du judaïsme, puis suit une série d’albums Empire Burlesque en 1985, Knocked Out Loaded en 1986 et Down in the Groove en 1988 qui font partie des plus médiocres de sa carrière.
En live, les diverses tentatives avec Mark Knopfler et le Grateful Dead très séduisantes sur le papier ne se concrétisent pas et laissent un goût d’inachevé ou de fuite en avant.
Dylan est paumé, tourne en rond et surtout recherche quelqu’un qui pourra le diriger, le canaliser. Mark Knopfler, trop admiratif du Zim n’étant pas parvenu à jouer ce rôle dans Slow Train Coming.
Avec Daniel Lanois, il va être exaucé au-delà de ses espoirs ! Ce québécois a été découvert par Brian Eno et a produit entres autres Joshua Tree de U2 ou So de Peter Gabriel.
Lanois a des idées précises sur la production d’un album de Dylan et il entre en confrontation avec le chanteur. De tout cela sortiront dix écrins magnifiquement produits, où la voix de Dylan est superbement rendue, jamais plus un producteur ne parviendra à retrouver ses intonations.
Et Lanois fuit les studios modernes, s’installe dans un vieux manoir colonial de la Nouvelle Orleans, engage des musiciens du cru, des gars du bayou, des cajuns qui ont l’habitude de toutes les situations et se moquent comme de leur premier alligator de la réputation du Zim, introduit des instruments nouveaux chez Dylan comme le dobro, la steel-guitar et les percussions de Cyril Neville.
La chanson la plus réussie de cette collaboration est Man in the Long Black Coat où un Dylan à la voix caverneuse raconte la légende de cet homme au long manteau noir qui semble surgir des marécages du bayou, dans la chaleur lourde de la nuit de Louisiane à la lueur incertaine d’une lampe tempête où tourbillonnent les insectes.
D’autres titres sont très forts Shooting Star, Where Teardrops Fall ou Ring Them Bells avec une mention spéciale à What Was It You Wanted où il s’adresse à ses fans en leur demandant plutôt méchamment ce qu’ils attendaient et attendent encore de lui.
Au final, ce CD signe le grand retour de Dylan après la longue traversée du désert des années 1980, comme beaucoup d’artistes de sa génération.
Juste après il finira de se régénérer au sein des Travelings Wilburys puis entamera son Never Ending Tour qui, à ce jour continue encore pour notre plus grand plaisir