Across a Crowded Room est le premier d'une série d'albums fort courte que Richard THOMPSON publie par le label Polydor en ce milieu d'années 80. Il est, au contraire, le dernier album pour lequel Joe Boyd donne un sérieux coup de main en termes de production, avant de passer le relais à l'américain Mitchell Froom. À noter que la même année (1985), Boyd travaille pour un grand nom en devenir, à savoir R.E.M., et leur troisième album, Fables of the Reconstruction.

Enregistré au début de l'automne précédent, Across a Crowded Room met un certain temps à voir le jour, six mois plus tard en avril 85. Le son reprend un peu les idées de Hand of Kindness, notamment par la présence d'un duo de saxophones, mais de façon réduite pour le coup : ils ne figurent que sur trois morceaux. Dave Bitelli a remplacé Pete Zorn aux sax alto et baryton, et Pete Thomas est mieux mis en avant au ténor ("Walking Through a Wasted Land").

Déjà apprécié sur les classiques de CAT STEVENS et le premier album de Kate BUSH, Bruce Lynch tient la basse, en lieu et place de Dave Pegg, alors que ce cher Simon Nicol garde son poste. Conjuguée à la batterie du grand Dave Mattacks, la rythmique propose ainsi du groove rock'n'roll ("Little Blue Number", "Fire in the Engine Room") autant que de belles ambiances jazzy et vaporeuses ("Ghosts in the Wind").

De façon plus surprenante, King Richard ne fait pas appel à John Kirkpatrick cette fois. C'est l'Irlandais Alan Dunn qui tient l'accordéon, plus sobre mais pas moins efficace. Il y a donc une corrélation évidente avec l'album précédent, pour le côté parfois exubérant, mais le son est moins brut, les slows baignent dans une réverbération accrue.

THOMPSON semble, en outre, attacher une importance moindre aux paroles, plutôt légères dans la forme (quoique souvent dirigées à l'encontre de son ex-femme Linda, semble-t-il), à l'exception de "She Twists the Knife Again" (génial !), du corrosif "Little Blue Number" ou encore de "Walking Through a Wasted Land". Ce titre, aride dans le ton, est le seul véritablement contestataire de l'album, un des sommets de l'artiste pour ces années-là.

Des bons moments, il n'en manque pas ici. Le début et la fin sont consistants, le milieu offrant un climax d'énergie inouïe et d'humeur dansante fort bienvenue. Sur un terrain rockabilly/cajun, "Fire in the Engine Room" permet aux saxophones de se mouiller autant que la guitare du Maître. Dans le même style, qui d'autre que lui peut s'octroyer un titre comme "Little Blue Number", où l'on ne s'attend guère à cette avalanche d'instruments baroques, cromorne, chalémie etc en fin de refrain ?

Après deux albums relativement classiques en termes d'instrumentation, le nouveau contrat avec une major offre à Richard THOMPSON la possibilité de creuser davantage et d'étonner à ce niveau, ne serait-ce que pour ce titre. Il continuera sur les albums suivants, tout en s'éloignant largement de la période "big band" et en faisant de meilleures concessions aux années 80.

Across a Crowded Room est loin d'être son disque le plus connu (les ventes ne sont guère brillantes), il est pour THOMPSON le premier à être gravé sur CD en même temps que le vinyle. C'est un très bon album, inspiré, surprenant par moments et diversifié.