Brock / Lemmy / Turner / Calvert / Dik Mik / Dettmar / King / Stacia / Bubbles.
Jamais plus HAWKWIND ne bénéficiera d'un line up aussi mirobolant au cours de sa tumultueuse et passionnante carrière. Désormais errante à deux cents années lumières du système solaire, la grande famille de Ladbroke Grove, pour reprendre les termes employés par Stacia, se retrouve confrontée à toutes les forces maléfiques de la création. Sylvidres, Harkonnens, saloperies venues d'outre Bételgeuse ... Le temps n'est plus à la contemplation de la voûte céleste ni à la nostalgie de la planète bleue en partie corrompue par l'essence même du Mal. L'heure est à la confrontation avec ce dernier. Pas de quartier. Sans faire abstraction de leurs autres thématiques clés (célébration de la splendeur de l'univers, appel à la dissidence totale, robotique, androïdes, écologie, manipulations mentales...), les HAWKS n'ont jamais été aussi énervés que sur Doremi Fasol Latido.

Sorti une année 1972 emblématique au cours de laquelle la frontière entre le rock et la science-fiction sera quasi inexistante (au même moment, David Bowie invite son pote martien Ziggy sur Terre et les dévots lovecraftiens en cuir cloutés du BLUE ÖYSTER CULT jaillissent hors de l'ombre), Doremi Fasol Latido ne va rien laisser indemne sur son passage à travers l'univers. Visuellement époustouflant avec son blason rutilant qui annonce effectivement toute une lignée de futurs pochettes heavy metal, ses cariatides spatiales impressionnantes (que l'on croirait érigées à la gloire d'un Troisième Reich interstellaire, d'autant que Lemmy était déjà porté sur les symboles tabous, ou bien annonçant un Troisième Impact tant redouté, tout dépend de vos préférences ...), son chef de guerre moyen-oriental du futur, ses barbares et ses samouraïs défiants des vaisseaux rétro futuristes à souhait dans des artworks où Moebius semble avoir croisé Katsuhiro Ōtomo et H.R Giger tout le cinéma épique d'Akira Kurosawa : Doremi Fasol Latido n'est pas en reste musicalement. Dire que cet album inflige une baffe mémorable revient à amoindrir les effets de son écoute. Car rarement un disque de rock aura été façonné par des artisans aussi radicaux que minutieux, professionnels et éclectiques. Space rock dévastateur comme planant, glacial comme captivant. Protopunk sauvage qui laissera derrière lui une progéniture dont les travaux feront date (un certain John Lydon, fan des HAWKS devant l'éternel et qui dealait régulièrement dans les concerts de ses idoles, affirmera que sans "Brainstorm", il n'y aurait jamais eu de SEX PISTOLS). Hard rock / proto metal implacable. Influences folk et krautrock parfaitement intégrées (car Simon King fut un maître en matière de motorik et Dave Brock ne se priva pas de faire de la pub à NEU! en rédigeant les notes présentes sur les exemplaires anglais du premier album du duo allemand, lui aussi paru en cette sidérante année 72) : aucune faiblesse à signaler. Du superbe "Space Is Deep" au vif "Lord of Light", en passant par le démentiel "Time We Left This World Today" : pas une fausse note. HAWKWIND a conçu avec Doremi Fasol Latido l'un des dix meilleurs albums de rock de l'histoire et un des dix plus grands albums de tous les temps.

Et que dire des quelques singles publiés dans la foulée ? De l'irrésistible "Ejection", sur lequel Paul Rudolph, le pote et leader des PINK FAIRIES, fait parler la poudre au furieusement rock n roll "Brainbox Pollution" ? Sans parler de ce joyau insurrectionnel à la puissance de feu incomparable qu'est "Urban Guerilla". Un chef-d'oeuvre jusque dans ses paroles incendiaires signées Robert Calvert qui offre à l'occasion une performance vocale d'une conviction viscérale. Un brûlot officiellement non écrit comme un soutien à l'IRA, mais sans doute composé sous l'influence d'un Bloody Sunday, son interdiction par la BBC survenant au moment où les insurgés irlandais lançaient une campagne de journées comme de nuits bleues à travers Londres. Un monument à l'image d'un groupe à l'époque complément ingérable. Au point que les domiciles de ses musiciens étaient régulièrement perquisitionnés. Ces mêmes zicos qui verrouillaient les issues des salles de concerts afin que le public ne puisse s'enfuir. Un groupe underground pur jus, qui manifestait un esprit do it yourself avant l'heure (ces Anglais-là avaient bien plus de similitudes avec les Américains de la scène high energy de Détroit qu'avec leurs compatriotes de l'époque), anticipant tout le mouvement punk et balayant bien des formations contemporaines de "rebelles" subventionnés et poseurs.

Un groupe de légende et un concept de légende pour un album de légende.

PS : une pensée pour Nik Turner, ce doux dingue compositeur d'hymnes spatiaux intemporels à l'instar de "Brainstorm", qui s'en est allé le 11 novembre 2022. Souhaitons-lui bonne chance pour son dernier grand voyage, au bout duquel l'attendent ses camarades disparus : Mad Bob, Lemmy, Dik Mik, Huw et Martin Griffin.