Cherilyn Sarkisian n'est pas une artiste lambda, ça non ! Nous venons de voir que le giga succès de son dernier opus Believe s'est soldé par des tournées hallucinantes, puis par la sortie de plusieurs best of parfaitement mercantiles, et donc totalement inutiles dans notre quête de l'artiste qu'est CHER. Et voyez, sort en ce début de troisième millénaire cet opus, affiché non commercial. Diantre, mais qu'est-ce à dire ? Bah, c'est en 1994, au cours d'un séminaire sur la créativité organisé par Milles Copeland, le frère de Stewart et magnat de la musique, tout ça dans son château de Marouatte - Périgord noir - que notre chanteuse brunette a écrit tout ça. Dingue non ? Qui savait qu'il existait des stages pour artistes en mal de composition ?

Elle y écrit dix chansons en dix jours avec Bruce Roberts, connu pour avoir été chanté par Barbra STREISAND ou Whitney HOUSTON, enregistre tout ça avec le David Letterman orchestra et propose le deal à sa maison de disques, lol ! Bref, évidemment, tout ceci ne séduit guère les pontes de la Warner qui trouvent tout ce chahut certes sympathique, mais définitivement 'non commercial'. Et notre artiste, qui possède systématiquement ses masters, les remise tranquillou dans un tiroir. Après le méga succès de Believe, elle décide de sortir ces dix chansons par le biais d'internet – nous ne sommes qu'en 2004 – à compte d'auteur, pour ceusses que cela pourrait intéresser. Non, MADONNA n'a jamais fait pareille démarche ! Et nous y voilà !

L'album s'ouvre sur la balade nostalgique "Still" et les regrets d'un amour avec un homme marié. Nous sommes en pleine introspection. Plutôt élégante, la voix de l'iconique chanteuse fait toujours son petit effet et la composition est agréable, même si un poil larmoyante. "With or Without You" n'est pas la reprise de U2. Quoiqu'avec un BONO dans le coin, cela n'aurait pas été si étonnant, non ? Plutôt une identité gospel à la "Whiter Shade of Pale" de PROCOL HARUM. Un simple orgue doublé d'un piano rend ce morceau immaculé. L'orchestration est judicieuse, les choeurs aériens, de la belle ouvrage, et quand je vous dirai qu'elle a composé cela toute seule, c'est à se demander comment aurait évolué sa carrière si la belle avait démontré ce talent de composition trente ans plus tôt ? Elle évoque le destin des sans-abris dans "Our Lady of San Francisco". Bin voilà, elle est comme ça, notre CHER, multi milliardaire et déésse de la musique populaire, mais toujours consciente de l'état de notre monde. Ses intonations ne trompent pas, et voilà qui la rend indéniablement cool, vu le sujet et son interprêtation.
"Classified 1A" est une chanson de son ex-Sonny BONO, celui des temps si importants du duo des sixties ! On sent la complicité qui émane du ton de CHER. Ah pour sûr, on est en plein dans les sixties ! La chanson dépeint l'expérience d'un conscrit au Vietnam, texte jugé anti-américain en 71.

Mais, il y a aussi du rock, voyez plutôt ! CHER évoque le rythme de sa vie sur "Runnin", une vie de dingue qui ne laisse aucune place à la tranquillité, tout comme la compo', haletante et stressante. On se croirait dans le sud des US avec "Disaster Cake", mais on se souvient de sa passion pour Greeg ALLMANN. Est-ce si déplacé ? Pas du tout, les gars. CHER est en fait une vraie rockeuse, qui n'a eu de cesse de vouloir le prouver tout au long de sa carrière, un excellent titre. Dans un esprit très eighties à la DIRE STRAITS meets HALL AND OATES, "Fit To Fly" ne dépareille en rien dans cet ensemble très qualitatif, avec un joli refrain.

C'est cependant sur le blues qu'elle performe au mieux : ses souvenirs d'enfance dans un pensionnat tenu par des sœurs remontent à la surface sur "Sisters Of Mercy". Elle y emploie un vocabulaire accusateur pour désigner l'environnement, particulièrement dur pour les religieuses. Le titre roots trimballe une chouette ambiance crépusculaire avec son harmonica torve. "Born With the Hunger" propose à nouveau un petit riff blues. La vibe est comparable et le chant très habité de CHER, qui prouve à l'occasion que ce disque compte vraiment pour elle. Il y a un coté enthousiasmant à entendre ainsi l'artiste déclamer ses textes avec un telle passion. "The Hunger Never Dies", c'est franchement chouette, et tellement différent de ce à quoi elle nous avait habitué. "Kurt’s Blues" est dédié à la mémoire de Kurt Cobain, comme le titre le laisse supposer, un poême qu'elle a écrit dans l'aftermath du suicide du chanteur de NIRVANA. Le superbe texte laisse comprendre que le chanteuse comprend parfaitement ce qu'a vécu l'icone du grunge. Il y a d'ailleurs une identité alternative dans la guitare fruste qui ponctue ses notes sourdes tout au long de la chanson. Vraiment superbe, le point d'orgue de cette fantomatique livraison.

Nous voilà bien, tiens ! Il est clair que nous tenons ici ce qui est le meilleur disque de la carrière de CHER, artistiquement parlant, cela va sans dire. Il est pourtant sorti en catimini sur le site de la chanteuse alors qu'elle flotte sur le toit du monde en l'an 2000. Et des ahuris à la tête des maisons d'édition n'ont pas souhaité imprimer ce disque car il était 'non commercial' ? Bilan : il reste inconnu des foules et seuls les fans les plus jusqu'aux-boutistes l'ont acheté. C'est ridicule, dans quel monde vit-on ? Celui de DAVSO et de LAYLOW, répondent autour de moi les djeuns d'aujourd'hui ! Vivement des jours meilleurs !
J'aime cet album de bout en bout et compte tenu de son positionnement, je choisis de lui coller la note maximale. Bravo Cherilyn !