Deuxième disque de Hugues AUFRAY en cette année 1968, sans nom également, celui-ci réaffirme, pour le chanteur, l'envie de s'ancrer dans des arrangements folk qui lui vont décidément bien mieux que la variété pure. Une nouvelle fois, les choeurs et les cordes sont employés à bon escient, accompagnant le chanteur avec force, offrant de belles tenues à des chansons pourtant simples et qui ne resteront pas forcément dans l'histoire.

Si l'on prend par exemple le cas de "Prière pour un spectacle", c'est un effort gospel dans la tradition, avec envolée vocale féminine et harmonie masculine, pendant qu'AUFRAY balance avec énergie un texte adressé à Dieu afin que celui-ci lui offre les meilleures conditions pour son spectacle. La batterie swing, la basse walk, le piano, les claps sont de la partie, le chanteur pousse même un cri à la Ray CHARLES ou à la Johnny HALLYDAY à la fin. Sans demander plus, c'est bien ficelé et toujours plus réussi que l'autre tentative légère du disque, plus country cette fois, à savoir "Et si moi je ne veux pas".

Au-delà de l'aspect délirant de ce dernier, son texte prouve que les thématiques rurales demeurent, à leur tour, très vives, à l'image du "Pauvre Martin" dans un registre diamétralement différent. Superbe complainte pour un humble paysan au quotidien répétitif, qui oeuvre pour les autres et va au bout de sa tâche, au point de creuser lui-même sa tombe avant de mourir, sans vouloir déranger personne. Il y a des chansons simples qui restent simples, et puis il y a des chansons simples qui sont bien plus que cela. Les cordes et le clavecin de Jean-Pierre Sabard y participent.

Celui-ci commence à user de claviers mais de manière discrète, pour sonner dans l'air du temps mais sans en abuser, et cela accompagne idéalement les jolies mélodies de "Je ne pourrai t'oublier tout à fait" (chanson de rupture amoureuse), du "Marin et de la Sainte-Vierge" (scène de naufrage passionnante où la Sainte-Vierge offre au marin de revoir son épouse et l'aimer une dernière fois avant de les faire sombrer ensemble)...

Mais dans l'air du temps, il y a aussi les quatre garçons dans le vent. Suivant les préceptes de Sgt. Pepper, la couleur indienne en vogue. AUFRAY, en plein Flower Power veut ajouter du sitar, des tablas et les mélange habilement aux éléments western, "à la Morricone" puisqu'on peut le dire maintenant sans anachronisme, sur "La guimbarde". Le genre d'histoire sanglante, typique de la folk à l'européenne où, par le biais de paroles répétitives et tout en nous contant le meurtre sauvage d'une fille innocente dans une forêt, on détourne habilement notre attention en nous parlant d'un fantôme à la recherche de sa guimbarde. Cela fait partie des chansons "à climat" de ce disque, de même que la romance sombre du "Calendrier de fable d'Eglantine", rythmée par le nom des mois républicains.

Ces chansons s'écoutent, retiennent l'attention au moins, font preuve de qualités, même si elles ne sont pas nécessairement parmi les meilleures que Hugues AUFRAY a interprétées. Celui-ci retrouve mieux sa verve de troubadour et les grands accords de guitare 12 cordes sur le très beau "Si Dieu nous en donne le temps" (contemplatif, véritable invitation au voyage) et le seul classique proposé sur cet album : "Si j'étais capitaine". Les percussions, la mélodie en mode majeur (ouvert et souvent joyeux), les cordes splendides, l'esprit mi-courtois mi-séducteur et enflammé, le chant insistant, c'est tout AUFRAY, aucun doute. Un bon élément dans sa discographie que ce disque soixante-huitard, sans revendication, ou alors très subtile !

Note réelle : 3,5 arrondi à 4