On pourrait croire que cet album de Jean-Michel JARRE n'a pas fait date tellement son nom est resté dans l'ombre. Pourtant, il est sorti entre Oxygène, Equinoxe, Les chants magnétiques, Zoolook et Rendez-vous. Peut-être avez-vous fureté dans les bacs ça et là, chez vos amis également, vous n'êtes sans doute jamais tombé sur ce disque. Et pour cause, Musique pour Supermarché n'est sorti qu'à un seul exemplaire.

Bien sûr, je ne vous ferai pas croire que je possède cet unique exemplaire et que cette chronique est faite pour m'en vanter. Pour la petite histoire, Jean-Michel et ses amis artistes ont voulu créer un supermarché de l'art, de là lui est venue l'idée de créer un disque comme on crée un tableau, en un seul et unique exemplaire, histoire de critiquer l'aspect mercantile qu'adoptait notre passe-temps favori. L'acquéreur anonyme de l'objet s'est défaussé de la somme de 69 000 FF (environ 10 000€, moi qui me plaignais du prix du dernier single de DEPECHE MODE...). Toutefois, Jean-Michel JARRE proposa la diffusion de son album à la radio, précédé d'une interview comportant la mention 'piratez-moi', tout ceci avec la bénédiction de sa maison de disque.

L'album est donc disponible via diverses copies réalisées à partir du matériel standard de l'époque, de bons vieux magnétophones. Les bandes et le disque originaux ayant servi à la pression du disque vendu ainsi qu'un premier exemplaire raté ont tous été détruits. Inutile donc de compter sur l'indiscrétion d'une personne mal intentionnée pour récupérer une autre version, cet album souffre donc d'un son abominable. Pire que cela, de nombreuses parties intègrent des prises de son effectuées dans un supermarché, avec le brouahaha environant, 'sublimé' par la technique désuette de la bande magnétique.

Malgré cela, Jean-Michel JARRE nous proposait un album de calibre honnête, un peu court (une petite demi-heure) qui préfigurait déjà les multiples samples de son futur album Zoolook. Huit petits titres (seules les parties 1 et 6 dépassent les quatre minutes) qui ne parviennent que difficilement à cacher l'aspect répétitif, sans doute voulu, de l'ensemble. JARRE se détache de l'accessibilité de ses premiers albums pour converger vers une ambiance contemporaine, plus expérimentale. La musique n'est d'ailleurs pas sans rappeler, de par son côté très électronique et acidulé, la bande sonore d'une autre critique des supermarchés, le film Zombies de Romero sorti 5 ans auparavant, réalisée par le groupe GOBLIN.

Ce mauvais son qui ne s'accommode guère de sonorités aigues ou de samples bruitistes régulièrement saturés donne à cet album toute sa personnalité. A croire que JARRE avait bien prévu son coup. Son album est un produit de consommation, chaque auditeur ne peut oublier qu'il ne possède qu'une mauvaise copie de l'original. A son écoute, on ressent même un certain agacement, le même qui nous envahit devant les spots publicitaires à la télévision, cette impression de n'être qu'un mouton passif à qui on dicte ses faits et gestes.

Musique pour Supermarché n'est donc pas un album que l'on écoute régulièrement. Il est plus une oeuvre critique, intéressante du point de vue de l'analyse, déjà beaucoup moins pour le mélomane aguerri. Il s'agit somme toute d'une oeuvre d'art contemporain très intéressante, qui mérite parfaitement son nom, Musique pour supermarché. Le compositeur lui-même n'hésitera d'ailleurs pas à y faire ses emplettes pour ses futures productions, une bonne partie de l'album ayant servi de base à d'autres titres de JARRE, notamment son album suivant, Zoolook.