Giorgio MORODER comme vous ne l’avez jamais écouté! En plus de ses trois premiers albums, le chanteur germano-italien a publié une palanquée de singles entre 1965 et 1975, dont la majorité restaient condamnés à l’oubli jusqu’à la parution des deux compilations Schlagermoroder en 2013, chez le fameux label Repertoire Records. Comme vous avez peut-être eu l’occasion de le voir, votre serviteur est un patenté névropathe qui ne peut s’empêcher d’éplucher tous les recoins des discographies qui lui tombent sous la main.

Dès 1966, Giorgio MORODER publia chez le label allemand Hansa deux singles : "Stop" / "Believe In Me", composés par le producteur Wout Steenhuis (1923-1985), et "Bla Bla Diddly" / "How Much Longer Must I Wait" composés par Martin Binder. Ces quatre morceaux sont vraiment un prototype de la période pop de Giorgio MORODER; ils en sont déjà très représentatifs mais en sont d’autant plus triviaux et calibrés. "Bla Bla Diddly" et "How Much Longer Must I Wait" sont deux petites chansons trépidantes; "Stop" est la plus originale du lot, avec davantage de contrastes, entre les mélodies douces à la guitare et le refrain choral, le tout rythmé par ces Stop scandés. La ballade "Believe In Me" est une ritournelle sirupeuse qui ne mérite pas notre attention. Une version alternative de "Bla Bla Diddly", en stéréo et avec des arrangements légèrement différents, est reléguée à la fin du premier CD de la compilation.

En 1968 et 1969, parurent de nouveaux 45-tours chez Hansa, mêlant reprises et chansons originales composées par le producteur autrichien Fred Jay. "Lilly Belle" est une nouvelle chanson rapide avec l’appui des saxophones et "Love’s Morning Land" une ballade violonneuse qui, étrangement, se révèle plutôt agréable. "Moody Trudy" est une chanson à nouveau très entraînante, judicieusement portée par un piano nasillard, avec en face B une nouvelle version de "Stop", aux paroles différentes et à l’instrumentation remaniée, certaines tournures harmoniques ayant même été retouchées. Cette nouvelle version de "Stop" me paraît plus intéressante que l’originale, notamment du fait des nouvelles harmonies et d’un pont très prenant, utilisant des bruitages électroniques pour la première fois dans la carrière de Giorgio MORODER. "Cinnamon" est une chanson de l’éphémère groupe DEREK de Johnny 'Cymbal' Blair, avec en face B l’originale "Reesy Beesy" (on rit et on se fait des bisous), hélas totalement surjouée et donc ridicule.

Plusieurs autres chansons furent également publiées en singles par Hansa mais furent par la suite compilées sur l’album That’s Giorgio (1969). C’est le cas des originales "Looky, Looky" et "Make Me Your Baby" ainsi que des reprises "Yummy, Yummy, Yummy", "Aquarius / Let The Sunshine In" et "Gimme Gimme Good Lovin", dont nous avons déjà parlé dans la chronique dédiée. En face B de "Looky Looky", figure l’originale "Happy Birthday", tout aussi enjouée (logique, vu le titre) et tout aussi bien troussée.
Bien sûr, il faut se farcir les versions italophones de "Looky, Looky" ("Luky, Luky"), "Happy Birthday" ("Senza Te, Senza Me"), "Muny Muny Muny" ("Mony Mony"), "Love’s Morning Song" ("Tempo D’Amore"), "Moody Trudy" ("Lina Con la Luna") et "Reesy Beesy" ("Risi E Bisi").

Deux singles de 1969 ne furent pas publiés par le label habituel de Giorgio. Deux chansons inédites en italien figurent sur un 45-tours édité par le label italien Miura, "Monja" et l’insupportable "Raggi Di Sole", à l’intérêt à peu près nul. Enfin, un 45-tours fut distribué par divers labels d’Europe mais pas Hansa : "Mah-Ná-Mah-Ná" et "Doo-Be-Doo-Be-Doo", deux chansons entièrement constituées d’onomatopées. "Mah-Ná-Mah-Ná" est tirée de la bande originale, composée par Piero UMILIANI, du film Svezia, Inferno E Paradiso (1968), film de Luigi Scattini qui se veut un film-reportage pour le moins discutable sur la société suédoise*. Cette chanson assez amusante enchaîne, en guise de couplets, différents thèmes classiques ou hymnes nationaux, chantés en yaourt avec une voix nasonnarde comme pas deux !

Ensuite, penchons-nous sur le cas de "Arizona Man" / "Sally Don’t You Cry", single à nouveau paru chez Hansa en 1970. Deux chansons de très bonne facture, en particulier "Arizona Man" à l’instrumentation recherchée et garnie de plusieurs lignes mélodiques au synthétiseur, ce qui en fait le premier morceau de Giorgio à employer le synthétiseur comme élément mélodique, et non plus comme simple bruiteur comme sur "Stop". "Arizona Man" est une chanson à tiroirs, constituée de trois parties enchaînées. La première est la chanson proprement dite. La deuxième garde la même tonalité mais présente des paroles sensiblement différentes, plus proches d’une chanson d’amour, et se termine sur un fade-out. La troisième partie est un repiquage de la première qui fait office de fausse fin. Il existe une version alternative d’"Arizona Man", bien reconnaissable à sa pochette hideuse, où les deux parties de la chansons sont réparties sur chaque face. On trouve donc sur la première face la première partie d’"Arizona Man" suivie de la fausse fi et, sur la seconde, la deuxième partie, intitulée "So Young", présentée en intégralité et non interrompue par le fade-out.

Nous avons déjà traîté des singles de 1971 et 1972 dans la chronique de l’album Son Of My Father et des singles de 1973 à 1975 dans celle de Giorgio’s Music. De plus, une bonne moitié de Son Of My Father figure sur la présente compilation, du fait de l’exploration exhaustive des singles. Soulevons toutefois l’existence d’un 45-tours de 1972 de l’obscur combo "Snoopy", publié en Argentine et au Chili, qui contient deux reprises, l’une du "Lady Hi! Lady Oh!" (1971) des frères Costa, l’autre de "London Traffic", traduite pour l’occasion en "Trafico Del Centro", qui figure sur notre compilation. Cette reprise est assez tartignole, l'instrumentation plutôt mollassone et le chant agaçant.

Il faut se rendre à l’évidence : ces chansons n’ont rien de bien singulier, à l’exception des expériences de "Stop" et "Arizona Man". De nombreuses chansons se ressemblent cruellement, au point que l’on n'en retient pas grand-chose, sinon l’idée de chansonnettes entraînantes et rythmées. Schlagermoroder Volume 1 n’en est pas moins une pièce d’histoire exceptionnelle et inespérée, qui mérite une note de circonstance.

*https://www.nanarland.com/chroniques/aux-portes-du-nanar/erotique/suede-enfer-et-paradis.html