Quand on n'a plus rien à prouver, on s'éclate ! Ainsi pourrait être le message de ce trente-deuxième opus du titan gallois. Son précédent, Mr Jones, n'a guère eu de succès, alors à 64 ans on ne va pas refaire le monde mais plutôt se contenter de jouer ce qu'on aime. Ainsi naît l'association avec le pianiste et star de la télé anglais Jools HOLLAND, leader du groupe SQUEEZE, pour un long instant de déconnade entre potes, tout ceci étant prétexte à bœuf, bringues et groupies... ou peut-être pas ? Je n'en sais rien pour tout vous dire ! Ce qui est certain en revanche, c'est qu'il n'y a que peu de velléités commerciales là-dessous et que Tom souhaite avant tout reprendre la musique qu'il aime et faire la nique à tous les critiques qui l'ont sempiternellement descendu en flèche pour ses succès de pop et de variété. Attendez-vous à du très lourd !

Débutons donc ce menu Pantagruëlique par les compositions originales que nos deux lascars ont pondues ensemble. "Life's Too Short" est un blues rapide joué sur un ton rock'n'roll avec piano boogie à la Jerry Lee LEWIS. Tom drive le morceau avec sa gouaille, Jools envoie la sauce sur le piano et les choeurs très black sont superbes. La gratte roucoule et l'orgue se lance dans un solo enflammé. L'esprit de cette compo est magnifique, entre les STRAY CATS et Johnny Lee HOOKER. "Odd Man Out" rassemble de jolis éléments cools. Les cuivres sonnent joyeusement et la bonne humeur est communicative. Un big band des familles ou le plaisir l'emporte sur le reste. La vibration est tellement New Orleans, alors que les compères sont des british ! Blues lent, "Baptism Of Fire" présente une atmosphère quasi liturgique vu le sujet, moderne et roots à la fois, ce qui permet à Tom de briller. Sa voix de baryton remplit tout l'espace disponible et on a envie de se recueillir. Super sympa ! Ca débute bien non ?

Et Tom de reprendre son idole et vieux complice Jerry Lee LEWIS, tout d'abord sur le seul single tiré de l'opus, "It'll Be Me" dans une version encore plus rapide et raide que celle du killer. Un titre terrible mais qui n'a évidemment pas la moindre chance de s'imposer face à la jeunesse des années 2000. Bref, peu importe tant le résultat est sympa et fracasse ! Sur le tardif mais excellent "End Of The Road", il est tout à fait à l'aise et Jools dans le rôle du blondin louisianais au piano assure les cachous, même si personne ne sait refaire l'intenable Jerry Lee. On continue dans la surenchère avec la rapide "Slow Down", qui porte bien mal son nom, de Larry WILLIAMS. Quelle débauche d'énergie ! Et on voit à quel point Tom a toujours été un rockeur, même au plus fort de ses turpitudes pop disco ou variétés. Non mais quelle classe ! Et il y a même de l'obscur : voyez donc le "Roberta" de Huey SMITH, tout le monde l'a oublié, pourtant ça déménage de folie et Tom est à la tête ici d'une explosion de bonne humeur rock'n'roll absolument dingue ! BIG JOE TURNER est aussi à l'honneur avec le boogie woogie de "Sally Suzas" avec un orchestre magnifique de Jools HOLLAND, qui laisse sur place le BSO de Brian SETZER.

On passe aux titres plus mid tempo ? Qui se souvient de Ray SHARPE et de son "Linda Lu" ? Ouais, non le Kingbee ça compte pas, c'est un extraterrestre ! En tout cas, plus mid tempo, le titre est excellent avec un Tom qui minaude comme jamais. Willie DIXON a composé un paquet de titres aussi rock'n'roll que Bluesy, il en est de l'hilarant "200 lbs Of Heavenly Joy", que Tom fait évidemment sien avec la plus grande facilité et ça swingue à donf, avec un solo de gratte génial de Mark Flanagan. On continue avec le contrebassiste génial sur le très groovy "My Babe" dans une version qui démonte tous les originaux, il ne reste plus qu'à s'agenouiller devant le talent incontestable de l'interprète !

Le countryman Lefty FRIZZEL renaît sous cette version de "Mam And Dad's Waltz" et c'est un petit instant de félicité qui égale les meilleurs moments du genre chez Elvis. Jools y est impérial. Ce n'est pas la première fois que Tom reprend du Charlie RICH, mais ainsi agrémenté des arrangements de Jools HOLLAND, "Who Will The Next Fool Be" a une gueule terrible. "Glory Of Love" est une vieille comptine créée par l'oublié Billy Hill dans la première moitié du siècle dernier. Mais les deux Britanniques parviennent à lui donner une vibe moderne tout en sauvegardant un côté roots – et ce solo de Jools, non mais c'est l'espace intersidéral ! Quasiment solennel, "Hanging Up My Heart For You" permet à Tom d'élever encore son niveau de chant. Sa voix magique ne rate rien et impose ici une ambiance grave digne des grands standards du gospel ou du doowop. Polala, mais comment fait-il, la filiation avec Don COWAY n'était pourtant pas si évidente !

Les esprits d'Alan LOMAX de Count BASIE et de LEADBELLY s'entrechoquent sur la fondamentale "Good Morning Blues/One O'Clock Jump", et Tom ne faiblit pas. Ce n'est pourtant pas à la portée du premier venu d'ainsi faire siens avec facilité tous les grands noms ! C'est le règne des cuivres, des big band, Jools à la baguette et Tom qui s'impose comme un génial interprète. On navigue vers le rythm'n'blues avec "Think" de Jimmy MCCRACKLIN, mais on reste avec une gaule de l'espace, comme pour tout le reste, car Sir Tom JONES maîtrise son sujet de A à Z. Il est magique d'aisance. Le classique de Doc Pomus et Mort SHUMAN "Mess Of Blues" permet l'hommage à Elvis PRESLEY – il le fallait bien -, et il faut admettre que Tom fait aussi bien que le King de toutes les musiques. On termine dans la surenchère avec le standard des standards, j'ai nommé le "St James Infirmary Blues" de Joe PRIMROSE. Et Tom fait mieux que tous ses prédécesseurs, même si je dois être un brin enthousiaste ! Mais écoutez-le bon sang ! C'est l'extase !

Bon, si vous avez bien lu ma chronique, vous aurez compris que ma réaction entière est d'adorer l'instant passé avec Tom JONES et Jools HOLLAND. On passe du rock'n'roll au rythm'n'blues, on se recueille, on prie presque, on tape du pied et on headbangue toujours avec le même bonheur. En fait, ce disque tout con de 2004 passé inaperçu, voire ignoré par les critiques et les médias, est un véritable épicentre de jouissance sonique qui plaira au plus grand nombre tant la débauche d'énergie y est évidente et totale. La voix de Tom JONES est un sommet du genre, et les arrangements de Jools ainsi que son orchestre le poussent sans cesse vers l'excellence. Donc si vous n'êtes pas un ayatollah de la musique et que les frontières de genre vus sont perméables - comme il se doit non ? - alors découvrez cette petite merveille de gaieté et d'insouciance. C'est un grand beau cinq des familles et c'est vraiment inattendu !