AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Depuis sa mort en 2020, Ennio MORRICONE n'a pour autant pas disparu de l'actualité discographique : des labels que passionne la musique du 'Maestro' continuent à perpétuer son héritage. Grâce aux rééditions entre autres de Cam Sugar, Dagored, Music On Vinyl, GDM Music, AMS Records ou Death Waltz Records, l'amateur fervent du compositeur romain peut s'offrir de belles découvertes ou redécouvertes musicales et, parfois, une pépite comme celle faisant l'objet de la présente chronique.

Le film de Aldo Lado, La Cosa Buffa (1972) n'a laissé aucun souvenir dans les annales du cinéma, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais E. MORRICONE n'a jamais suivi le critère de l'excellence dans son choix des films auxquels il a apposé sa signature musicale. Il n'a jamais tenu compte de la renommée médiatique d'un réalisateur ni de sa côte auprès de la presse spécialisée. Cette absence de hiérarchisation dans ses collaborations artistiques lui a permis de s'impliquer avec une belle constance dans ses B.O, que le film ait été défendu ou non par les professionnels du 7ème art. Aldo Lado a sollicité à maintes reprises le talent du compositeur qui a toujours répondu présent à l'appel de ses amis, persuadé qu'il était que son travail ne pouvait que s'améliorer au fil de ces collaborations réitérées, sa compréhension de l'exigence propre à chaque cinéaste se renforçant au fil des années et favorisant l'entente artistique.
Aldo Lado a donné au Giallo quelques-unes de ses références (La Corte Notte delle Bambole di Vetro -1972, Chi l'Ha Vista Morire – 1972, autant de B.O essentielles de MORRICONE), mais La Cosa Buffa relevant du drame psychologique à connotations sociales s'inscrit dans une veine plus 'conventionnelle' que confirme le sujet du film : un couple voit sa relation empêchée par les parents de la jeune femme, qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée d'un 'beau fils' qui ne soit qu'instituteur.

Comme bien des B.O de films, La Cosa Buffa s'organise autour d'un thème principal qui constitue en quelque sorte l'âme du projet. Ce thème qui parcourt le disque, pour ainsi dire sa colonne verrtébrale, offre à MORRICONE une énième occasion d'exceller dans l'art de capter l'atmosphère et surtout l'esprit du film, son parfum le plus secret. Cela dénote sa profonde compréhension de l'histoire telle que devinée au travers du scénario, incontestablement la qualité qui l'élève au-dessus de ses confrères et qui lui vaut à mon sens sa réputation de 'Maestro'.
Essentiellement incarné par les cordes et un clavier reconnaissable comme étant sa signature, que soulignent discrètement les délicieux vocalismes de la soprano Edda Dell'Orso (Rappelez-vous le thème lyrique d'Il était une fois dans l'ouest, c'est sa voix enchanteresse et si émouvante), le titre éponyme, sans être particulièrement complexe, est de ceux dont la mélodie se niche instantanément dans le cortex. Belle, douce, feutrée, agréable. Elle pourrait ne jamais finir que l'oreille n'y verrait aucune difficulté.
Par la suite, ce thème devient le leitmotiv du film et de l'album, qu'il soit plus ou moins identique ou parsemé de légères variations qui mettent l'accent sur le choeur 'I Cantori Moderni di Alessandroni' (fidèle collaborateur de MORRICONE), auxquels s'adjoint une flûte ("Indecisione Con Maria") ou les vocalises d'Edda Dell Orso ("Esercizio Con Marika"), à moins qu'un orgue de barbarie s'en charge ("Strani Pensieri"), lui conférant les atours désuets d'une valse provinciale.
Il arrive également que le compositeur, modifiant la structure rythmique du thème initial ainsi que la couleur tonale des violons, transforme totalement sa réception auditive et émotionnelle, insufflant au titre une étonnante tension, au point de le rendre méconnaissable. ("Pensando a Maria").
Un second thème ("Come Giuletta e Romeo") intervient tardivement, pas avant la piste 9, sorte de digression mélodramatique du leitmotiv, qui concourt à décupler encore, si cela était possible, l'impact émotionnel du thème principal, dès que ce dernier revient en force avec le retour au chant d'Edda Dell'Orso ("Gocce di Pioggia") dont les vocalises nous submergent de plus belle de leur suave texture.
Quant à "Catalogo Incompleto", il propose une sorte de medley de 9 minutes, à base de batterie, de trompette miles davisienne, de basse, d'orgue sporadique et de ligne vocale alanguie, dans une atmosphère suspendue et obsédante, qui déconstruit brillamment chaque segment du thème initial, un peu à la manière que reprendra Brian ENO (qui s'en est peut-être inspiré) dans son album Discreet Music (1975) lorsqu'il déconstruira à son tour le célèbre "Canon" de PACHELBEL. C'est encore une fois une totale réussite.
Cette réédition de 2024 par AMS Records propose quatre titres bonus qui prolongent favorablement le plaisir d'écoute en apportant une couleur plus sixties au thème du film. C'est enlevé, dans le style piano coctail-bar, et rafraîchissant.

Cette B.O plutôt méconnue redevient dès lors un incontournable de l'oeuvre morriconienne.