AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Le 23 août 1927, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont exécutés par électrocution dans la banlieue de Boston. Deux braquages ayant eu lieu dans le Massachussets en 1919 et 1920 leur étaient imputés, le second ayant entraîné deux morts.
L'affaire prend une ampleur inattendue quand l'opinion publique se positionne en faveur des deux Italiens, modestes cordonnier et vendeur de poissons. Grâce à la mobilisation de quelques amis, 300 000 dollars ont été levés qui ont permis non seulement de lancer une campagne mondiale de réhabilitation en leur faveur mais de payer aussi les services d'un avocat en vue de reprendre l'enquête à décharge. Parmi leurs défenseurs, se trouve même un certain Benito Mussolini.
Malgré maints reports de leur exécution, les deux accusés finissent sur la chaise électrique. Depuis, Sacco et Vanzetti sont devenus le symbole des bavures judiciaires. Durant leur procès, certains témoignages pouvant fournir un alibi sérieux ont été obstrués par le juge Webster Thayer qui n'aimait ni les Italiens ni les Anarchistes. De plus, il n'a pas été tenu compte de l'aveu du détenu Celestino Madeiros qui, de sa prison, s'est accusé du second braquage mortel de 1920.
Cette exécution, on l'entend, n'interroge pas tant la légitimité de la peine de mort aux USA que l'injustice de certaines condamnations abusives quand le manque de preuve reste flagrant et que persiste le doute.

Cette affaire a inspiré de nombreux artistes, à commencer par un poème contemporain de Louis Aragon, "Le port de Dieppe", dans lequel il exprime sa déception, au cours d'une manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti, pour le faible taux de participation. Marc Ogeret a mis en musique et chanté ce poème dans "Le jour de Sacco-Vanzetti". En 1966, le dramaturge Armand Gatti a créé l'oeuvre chorale Chant public devant deux chaises électriques. Woddy GUTHRIE évoque les deux Italiens exécutés dans sa chanson folk "Two Good Men". Il en va de même de Scott WALKER avec "The Ballad of Sacco and Vanzetti".

L'oeuvre la plus connue demeure bien entendu la chanson "Here's to You" popularisée par Joan BAEZ. Pour cet hymne, la célèbre folkeuse, défenseuse des droits de l'homme partout dans le monde, s'est inspirée des dernières paroles prononcées devant le juge par Bartolomeo Vanzetti juste après qu'a été proclamée sa condamnation à mort, discours d'une grande humanité que la chanteuse ne pouvait que reprendre à son compte. Ce que l'on sait moins, c'est que la musique en est signée Ennio MORRICONE et que "Here's to you" fait partie de la Bande Originale du Film Sacco & Vanzetti qu'a mis en scène Giuliano Montaldo en 1971 avec Gian Maria Volonte dans le rôle de Vanzetti.
Pour emballer "Here's to You" Ennio MORRICONE a composé une phrase musicale qu'il répète 10 fois, structure idéale pour que la mélodie s'imprime dans les esprits. L'interprétation exaltée de Joan BAEZ alliée au crescendo du choeur des Cantori moderni d'Alessandroni élèvent sans forcer la charge émotionnelle et communautaire de cet hymne aux droits de l'homme. Son succès international lui a valu de connaître maintes interprétations au fil des décennies. Ainsi, George MOUSTAKI, la même année que la version de Joan BAEZ, a l'honneur de la reprendre et de l'adapter en Français. Tino ROSSI lui emboîte le pas en 1972 dans son album Tino ROSSI chante Le Parrain et les plus grands succès de films. En 1974, Mireille MATTHIEU l'interprète à son tour dans Mireille Matthieu chante Ennio Morricone, disque où elle adapte en Français les succès du Maestro. La même année, Danièle LICARI en livre sa version dans Romeo and Juliet -Screen Themes Golden Prize. En 2008, on peut entendre une version de "Here's to You" arrangée par Harry Gregson-Williams dans le jeu video Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots. Et, suprême hommage, en 2014, sa suite, Metal Gear Solid 5 : Ground Zeros, reprend cette fois la version initiale de Joan BAEZ dans son introduction et sa conclusion.

10ème et dernier titre de l'album Sacco & Vanzetti, "Here's to You" n'en est pas la seule chanson. Une fois n'est pas coutume, Ennio MORRICONE a articulé son score autour de plusieurs pistes chantées par Joan BAEZ. En fait, de chansons proprement dites, l'album n'en contient que 2. La seconde, "La Ballata di Sacco e Vanzetti", moins connue que l'hymne précité, est une longue ballade avoisinant les 16 minutes et comprenant pas moins de 24 strophes. S'il y a bien un enchaînement de couplets et de refrains, la structure d'ensemble de la ballade est moins stricte qu'elle n'y paraît. Ici, la taille des couplets varie en fonction du texte tandis que les refrains ne répètent pas obligatoirement les mêmes vers.
Joan BAEZ a élaboré ses paroles en s'appuyant sur des lettres de Bartolomeo Vanzetti et sur la composition que lui avait remise E. MORRICONE. Le résultat, compte tenu du temps record d'enregistrement des deux chansons (tout s'est déroulé à Rome en un seul jour) et de l'absence d'orchestre lors de l'enregistrement (Ennio MORRICONE l'a ajouté ultérieurement) est sacrément beau. La chanteuse bouleverse par la pureté de sa voix et la conviction qu'elle imprime dans son chant, mais les arrangements orchestraux, d'une sobre efficacité, du Maestro ne sont pas en reste : l'orchestre en effet intervient lors des refrains, avec une ampleur remarquable. Alors que les couplets, quasi minimalistes, jouent sur des arpèges de guitare (celle de Joan BAEZ probablement), que transpercent des attaques alternatives de cordes et de claviers ultra-dramatiques. On perçoit même par instants les accords plaintifs d'une guitare électrique fort bien placés. Le compositeur a eu aussi la judicieuse idée de diviser "La ballata di Sacco e Vanzetti" en trois parties distinctes disséminées à divers moments du disque, ce qui évite la lassitude qu'aurait pu engendrer la chanson sur sa durée (qui est, je rappelle, de 16 minutes).

Pour compléter la partition, Ennio MORRICONE a intercalé avec les pistes chantées d'autres thèmes purement instrumentaux : il en va ainsi du très beau "Speranza Di Libertà", un adagio très mélancolique, où brille la voix feutrée d'un hautbois champêtre. "Nel Carcere", traduisant l'incarcération de Sacco et de Vanzetti, déploie quant à lui une atmosphère anxiogène avec les cordes qui couinent et celles qui cisaillent l'espace sonore à coups d'archets agressifs comme autant de barreaux qui referment l'espace de la cellule. "Sacco et il Figlio" et "Libertà Nella Speranza" reprennent le thème de la Ballade sur le mode nostalgique, le second accueillant le retour poignant du hautbois auquel les cordes répondent par leur caresse. "E Dover Morire" évoque la perspective sans cesse rapprochée de la mort au bout du couloir. Les claviers égrainent les heures qui s'écoulent, les minutes et les secondes sans que l'esprit puisse détourner ailleurs ses pensées, sorte de marche funèbre à la suspension implacable. Quant à la "Sedia Elettrica", c'est une piste glaçante, la plus expérimentale de l'album, où les synthétiseurs recréent les grésillements assourdissants d'une chaise électrique quand passe le courant.