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Ennio MORRICONE - Sans Mobile Apparent (1971)
Par AIGLE BLANC le 19 Septembre 2023          Consultée 457 fois

AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Musicien d'obédience internationale, Ennio MORRICONE n'a livré son génie, paradoxalement, qu'à des productions italo-franco-américaines. Ses collaborations avec des cinéastes français s'élèvent seulement à douze, dans le peloton desquelles figurent celles avec Henri VERNEUIL (pas moins de 6 films dont l'iconique Clan des Siciliens), Francis GIROD (3 films dont le très acide Trio infernal), Yves BOISSET (2 films dont Espion, Lève-toi), Edouard MOLINARO (l'inénarrable trilogie de La Cage aux Folles), sans oublier des collaborations dont la qualité fait regretter qu'elles ne se soient pas prolongées au-delà d'un seul film (le score expérimental glaçant du Secret de Robert ENRICO ou celui au succès hexagonal du Professionnel de Georges LAUTNER ).

La carrière française du grand Ennio mobilise en tout et pour tout une vingtaine de films, ce qui, contextualisé aux 500 longs-métrages qu'il a mis en musique ne représente qu'une très faible proportion, même pas la partie émergée de l'iceberg. C'est d'autant plus frustrant que sa collaboration avec la France s'est achevée au mitan des années 80, avec Le Marginal de Jacques DERAY, qui n'est pas ce qu'il a composé de meilleur ni de plus digne de son talent, couvrant donc depuis le début des années 70 une période de quinze années. Le cas du long-métrage historique de Christian CARION, En mai, fais ce qu'il te plaît, seul film français pour lequel 'le Maestro' ait accepté de sortir de sa retraite en 2015, est à ce titre d'autant plus marquant, le jeune cinéaste qui avait sollicité le compositeur comme on envoie une bouteille à la mer n'ayant jamais osé envisager recevoir une réponse favorable.
20 films français répartis sur 15 ans, voilà une modeste implication, mais concentrée dans le temps. Il ne s'agit pas ici de la déplorer à des fins bassement chauvines, mais de rendre hommage à la qualité des bandes originales qu'Ennio a offertes à notre patrimoine culturel, qu'il serait injuste de sous-estimer, surtout quand on les compare à ses travaux au sein du cinéma américain, souvent plus conventionnels.

Quand Philippe LABRO réalise en 1971 son thriller Sans mobile apparent avec Jean-Louis Trintignant, Dominique Sanda, Stéphane Audran, Laura Antonelli, Sacha Distel et Jean-Pierre Marielle, il est revenu d'un séjour aux USA obtenu suite à une bourse qu'il avait décrochée afin d'intégrer une prestigieuse université américaine. L'artiste, que sa jeunesse rend plutôt insolent (dixit l'intéressé lui-même dans le livret intérieur de l'album vinyle), combine alors depuis son retour en France les talents de journaliste, écrivain et cinéaste, de parolier à succès également pour Johnny HALLYDAY, et co-auteur avec Serge GAINSBOURG d'un album solo de Jane BIRKIN. Son film, adapté avec l'aide de Jacques Lanzmann (excellent parolier de Jacques DUTRONC) du roman Dix plus un de Ed McBain, paru dans la collection Série Noire chez Gallimard, s'apparente à un giallo pour le motif très célèbre du tueur psychopathe éliminant une série de personnes (aussi bien hommes que femmes) selon un motif des plus mystérieux. Cette empreinte du giallo, héritée de Mario Bava et modernisée par Dario Argento, est à mettre en parallèle avec les travaux d'Ennio MORRICONE qui, à cette époque, a copieusement mis en musique ce genre de film parmi lesquels le classique L'oiseau au plumage de cristal.
La Californie du roman se voit transposée à la Côte d'Azur-Nice (idée de Labro), tandis que c'est le producteur Jacques-Eric Strauss qui attire Ennio MORRICONE sur ce projet. Le réalisateur reconnaît aujourd'hui n'avoir pas vraiment mesuré alors sa chance de travailler avec le compositeur romain et admet que le score de Sans mobile apparent est l'élément qui a permis au film de ne point trop mal vieillir au fil des décennies, ayant gagné notamment un beau succès aux USA.

Evacuons d'emblée le reproche que d'aucuns pourraient formuler au sujet de cette bande originale dont la durée peine à atteindre 15 minutes. A l'inverse de ce qui se produit depuis le second millénaire, où la musique envahit tout l'espace extra-diégétique du film, aboutissant à des scores flirtant avec les 70 minutes, les compositeurs de l'ancienne école ne composaient que le strict minimum, sachant que la bande musicale ne couvrait qu'un tiers de la durée du long-métrage. Le réalisateur n'avait pas besoin d'une profusion de matière musicale, l'habitude d'utiliser le même thème à différents moments du film s'avérant très répandue. Par conséquent, dès lors que ces bandes originales sont entrées sur le marché du disque, entraînant la starisation de musiciens comme John WILLIAMS ou John BARRY, il a fallu, pour s'aligner sur la durée standard des albums de pop-rock-variété traditionnels (autour de 35-40 minutes), recourir à des pistes additionnelles comme, par exemple, des versions alternatives des thèmes du film. Les oeuvres d'Ennio MORRICONE n'échappent pas à ce procédé. C'est ainsi que le label We Want Sounds, quand il réédite Sans mobile apparent en 2022, prolonge le petit quart-d'heure de musique composée pour le thriller de Philippe LABRO en proposant en face B des versions alternatives de ses 5 thèmes. On ne peut donc pas évaluer une bande originale avec les critères prévalant à un album classique. Pour que la note finale soit la plus juste possible, il est préférable d'appréhender une bande originale d'Ennio MORRICONE comme on aborde un E.P ne contenant que 20 à 30 minutes de musique.

La face A de Sans mobile apparent concentre les trois thèmes de ce thriller répartis sur 5 pistes seulement. Le maestro a particulièrement soigné le thème des génériques d'ouverture et de clôture ("Senza motivo apparente"), d'une simplicité inversement proportionnelle à son impact émotionnel sur l'auditeur. Sur un canevas mélodique que conduit un dialogue langoureux entre le sifflement d'Alessandro Alessandroni, rendu célèbre par les western spaghetti de Sergio LEONE, et le mellophone* relaxant de Maria Verzella, E. MORRICONE démontre encore une fois sa science 'parfaite' des arrangements et son goût irrésistible pour le mélange de multiples textures sonores. Le thème se voit sporadiquement traversé par les larsens et couinements d'une guitare wah-wah, tandis que l'arrière-plan génère des sons percussifs menaçants comme peuvent en produire des crotales avant l'attaque. L'adjonction des violons zébrant l'espace de leur note unique, étirée ou assénée à coups d'archet agressifs, complète ce titre absolument addictif, baignant dans une humeur langoureuse d'autant plus mémorable qu'il ne manque pas de laisser l'arrière-goût amer d'une sourde inquiétude. On ne peut éviter de comparer ce thème légèrement anxiogène à celui, totalement tétanisant, de Peur sur la ville, qui en constitue une sorte d'aboutissement expressionniste.
"Sospensione" enchaîne sur une plage aux limites de l'ambient, avec ses cordes geignardes dont l'intensité va crescendo jusqu'à un climax où les instruments s'arrêtent brutalement de jouer. C'est court mais terriblement efficace, même si l'écoute hors images n'en est pas forcément plus accessible.
L'ombre du grand Bernard HERMANN plane sur "Il movente" dont les cordes, après un départ écrasant d'une cloche, envoient des reminiscences de la scène de douche de Psychose, avant la reprise imprévue du thème initial, à la batterie plus marquée, mais au mellophone toujours aussi tranquille, lui conférant une emprise d'autant plus entêtante.
"Ricerca" est une composition gorgée de suspense, où la batterie assène de lourdes frappes épidermiques, parfois interrompues par le mellophone aux accents jazzy caractéristiques de ce que MORRICONE avait expérimenté auprès de Dario ARGENTO, un an plus tôt, au moment du premier volet de sa trilogie animale, L'oiseau au plumage de cristal. La guitare wah-wah y lâche encore son venin grésillant, réminiscence de la bande originale de La cité de la violence parue en 1970.
La dernière piste de la face A, "In Pieno Petto", est de loin la plus paniquante quand les violons et un clavier agité se lancent dans une course éperdue au bord de l'asphyxie.
La face B reprend tous ces thèmes, le plus souvent à l'identique ou presque, prolongeant ainsi l'atmosphère du film.

Sans mobile apparent n'est pas un opus mineur de MORRICONE. Il s'inscrit dans la continuité de ses travaux, base tangible des thrillers italiens auxquels il a apposé sa marque novatrice à la forte identité, nouvelle référence de sa veine 'cinéma français' aux côtés des polars d'Henri VERNEUIL avec Jean-Paul Belmondo, Le casse et Peur sur la ville.

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   AIGLE BLANC

 
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- Ennio Morricone (compositions et orchestration)
- Bruno Nicolai (direction orchestrale)
- Alessandro Alessandroni (sifflements)
- Giorgio Carnini (orgue)
- Maria Verzella (mellophone)


- face A
1. Senza Motivo Apparente
2. Sospensione Folle
3. Il Movente
4. Ricerca
5. In Pieno Petto
- Face B
6. Senza Motivo Apparente (version 2)
7. Ricerca (version 2)
8. Senza Motivo Apparente (version 3)
9. Sospensione Folle (version 2)
10. Senza Motivo Apparente (version 4)
11. In Pieno Petto (version 2)
12. Il Movente (version 2)
13. Senza Motivo Apparente (version 5)



             



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