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LITURGIE PERVERTIE.  |  B.O FILM/SERIE

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Ennio MORRICONE - Il Sorriso Del Grande Tentatore (1974)
Par AIGLE BLANC le 1er Février 2017          Consultée 2429 fois

AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Voici la B.O préférée d'Ennio MORRICONE parmi les 500 à son actif (qui dit mieux ?), celle dont il est le plus fier. Le maestro y a investi, à un degré supérieur, tout le génie qui était le sien durant la première moitié des 70's. Il s'agit, rendons-nous à l'évidence, de la musique de film la plus sulfureuse de l'histoire du 7ème art. Aujourd'hui encore, son audace impressionne.
Fan de MORRICONE, vous connaissez cette B.O qui figure à n'en pas douter dans votre précieuse "morriconothèque", surtout depuis sa miraculeuse réédition de 2015 chez les Australiens de Roundtable.
Amateur ou simple curieux, laissez-moi vous guider dans la présentation de cet opus à la puissance incantatoire intacte.

A l'origine, existe un film obscur de Damiano Damiani sorti sur les écrans en 1974. Du réalisateur italien, nous ne connaissons que l'agréable autant que bouffon western spaghetti Un Génie, Deux Associés, Une Cloche (1975) avec Terence Hill, Robert Charlebois et Miou-Miou (quel casting improbable, quand même !), ainsi que le second volet de la saga interminable d'Amityville, sous-titré Le possédé lors de sa sortie internationale en 1982. Autrement dit, presque rien, ses autres films n'ayant bénéficié en France d'aucune exposition. Il Sorriso Del Grande Tentatore demeure donc à ce jour inédit.

Dans les 70's, l'Italie connaît une explosion de Gialli (Thrillers), genre qui mêle le Polar glauque et l'Horreur, et peut-être ancêtre des futurs Slashers qui fleuriront aux USA à partir du succès d'Halloween et de Vendredi 13 à la fin de la même décennie. Les Gialli ont pour ainsi dire supplanté les Peplum après que ces derniers sont passés de mode. Ce genre populaire, qui mise sur le sadisme quelque peu SM des scènes de meurtres dont sont toujours victimes de belles femmes à moitié dévêtues, révère ses deux maîtres spirituels : Mario Bava, précurseur dès les 60's avec son séminal Sei Donne Per l'Assassino (1964) et Dario Argento avec L'Uccello Dalle Piume Di Cristallo (1970) puis (i]Profondo Rosso (1975, le chef-d'oeuvre du genre ainsi que deux seconds couteaux talentueux, Umberto Lenzi avec Spasmo (1974) et Lucio Fulci avec Una Lucertola Con La Pelle di Donna(fi] (1971).
Il Sorriso Del Grande Tentatore(fi] ne semble pas vraiment relever de ce courant de thrillers à l'arme blanche, mais il n'en explore pas moins à n'en pas douter des zones blasphématoires où seul le cinéma italien osait s'aventurer, à travers la Nonnesploitation* notamment.

Passé l'étonnement de voir Ennio MORRICONE s'investir avec une telle ferveur pour un film somme toute mineur voire médiocre, force est de constater que le maestro confirme une fois de plus l'adage selon lequel il sait mieux que quiconque quelle atmosphère musicale convient au film pour lequel on est venu réclamer son travail.
Le génie protéiforme de l'artiste délaisse un instant le jazz expérimental et psychédélique qu'il a formidablement mis en oeuvre avec les deux premiers Gialli de Dario Argento, au profit d'un style totalement différent. Le film, se déroulant dans un couvent et abordant la rivalité entre une Soeur et un journaliste, exige une musique qui sache mêler la foi à des relents de décadence, la rétention sexuelle de la recluse exacerbant le désir et l'attrait du pêché de chair.
Pour plonger le spectateur dans les tourments de la pécheresse, Ennio MORRICONE adopte une ligne directrice radicale et d'une audace insensée. Il élabore sa partition autour de thèmes pré-existants empruntés pour la plupart à la liturgie catholique romaine. C'est ainsi que cette B.O nous donne à entendre les célèbres "Veni Sancte Spiritus", "Dies Irae" et "Lauda Sion", autant de séquences médiévales interprétées d'ordinaire dans la tradition du chant grégorien, auxquelles il greffe, avec un sens de l'ironie mordante, des emprunts au fameux Hymne à la Joie de BEETHOVEN et à la Symphonie Fantastique de Hector BERLIOZ.
La démarche de MORRICONE, loin de s'avérer servile (ce dont vous ne doutiez pas, je présume) consiste dès lors à détourner ces oeuvres du répertoire sacrée qui ont tant bercé sa jeunesse romaine en reprenant la mélodie et partiellement les textes latins, mais en réarrangeant totalement la partition polyphonique vocale. Pour ce faire, il entrelace deux chorales : d'un côté, les Cantori Moderni di Alessandro Alessandroni (Les Chanteurs Modernes) d'où émergent sporadiquement deux sopranos solistes : Edda Dell'Orso (qu'on ne présente plus aux lecteurs de Forces Parallèles) et Gianna Spagnulo; de l'autre, le maestro a l'idée géniale (encore une, décidément !) de confier la seconde partition vocale au Coro di Voci Bianche (le Choeur des Voix Blanches) dont la particularité (et pas des moindres) est de n'être constitué que de voix d'enfants. Rassurez-vous, le compositeur ne les sollicite pas ici pour honorer le répertoire traditionnel des chants de Noëls.
En guise d'assise rythmique, interviennent un piano marteleur soutenu par une basse fuzz continue et quelques batteries conférant à l'ensemble une couleur rock délicieusement décadente.

Les ingrédients une fois réunis, il ne reste plus qu'à les malaxer, les distordre, les pressurer en jouant autant sur les silences et les murmures que sur de brusques éclats du choeur d'enfants psalmodiant des syllabes répétées à l'infini, totalement désincarnées, tandis que le choeur d'adultes projette en des accents sataniques des vers latins découpés au scalpel. La dimension liturgique du répertoire n'a pas disparu pour autant, mais le traitement dantesque qu'inflige le maestro aux polyphonies vocales couplé aux redoutables accords plaqués d'un piano épidermique la pervertissent irrémédiablement. Les partitions sacrées d'origine semblent littéralement possédées comme l'était l'adolescente du film L'exorciste, son visage peu à peu contaminé, ravagé, souillé et violé par les stigmates du démon Pazuzu. Les six compositions de la présente BO mettent, une fois n'est pas coutume, en évidence les voix dirigées par le chef de choeur Paolo Lucci. Les syllabes scandées jaillissent, sêches, incisives, effroyables, pour être aussitôt happées par le silence dans un flux continu d'accélérations et de ralentissements saisissants, glaçants, véritable maëlstrom, incarnation du cataclysme s'abattant dans l'âme torturée d'une nonne en proie au tourments de la chair.

Nonnesploitation * : Ce terme provient de l'Anglais "nunsploitation" qui désignait un sous-genre du cinéma d'exploitation des années 70 et 80. On y traitait généralement du conflit d'origine religieuse ou sexuelle dont était victime une soeur chrétienne, dans le cadre d'un couvent médiéval. La répression religieuse y était montrée dans sa crudité, à la fois honnie par le personnage féminin principal et fantasmée par les scénaristes et réalisateurs qui en faisaient un spectacle racoleur s'adressant à un public fréquentant les cinéma X.

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   AIGLE BLANC

 
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- Ennio Morricone (direction orchestrale)
- Paolo Lucci (direction chorale)
- Coro Di Voci Bianche Dell'Arcum (chœur d'enfants)
- I Cantori Moderni Di Allessandroni (chœur d'adultes)
- Edda Dell'Orso (soprano)
- Gianna Spagnulo (soprano)


1. Veni Sancte Spiritu
2. Victima Peschali Laudes
3. Con Serena Gioia (finale Profano)
4. Lauda Sion
5. Stabat Mater
6. Dies Irae



             



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