Le Jambalaya est un plat typique de la Louisiane. Un de ces plats délicieusement complexes et parfumés emplis de saveurs qui déménagent. Il s'agit également d'un standard de la musique cajun, repris ici in extenso en guise de digestif. Mais pour le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir la discographie flamboyante d'Eddy MITCHELL, Jambalaya est aussi un album particulier, pour ne pas dire unique. Il fut à l'époque assez médiatisé notamment pour ses deux duos. Nous y trouvons un titre chanté avec cette vieille canaille de Johnny HALLYDAY, un "On Veut Des Légendes" rock shuffle très correct, et une reprise de Little RICHARD avec Johnny et le Richard en personne. Là aussi, c'est rock, ça va vite, et c'est sympathique, sans tout déchirer non plus. Vous me direz, à son âge, deux morceaux au tempo rapide, c'est déjà beau.

Mais Jambalaya a cette particularité d'être justement l'album le plus fun, le plus dansant d'Eddy. Multipliant les compositeurs afin que Pierre PAPADIAMANDIS ne se sente pas étouffé par le style, Eddy se lance à corps perdu dans le blues cajun, la country rock aux tempos accélérés et globalement à la bonne humeur. Ca peut être nonchalant (le titre d'ouverture), décalé (le "Seul Survivant"), rétro ("Les Caresses" et sa chambre d'écho), tubesque et sur le fil du rasoir (l'excellente "J'T'en Veux Pas" qui traite du piratage musical sous un angle non manichéen), carrément drôle (une "Arche de Noé" d'anthologie). Mais dans tous les cas, ça donne envie de bouger les pieds.

Même quand il baisse un peu le tempo, il confie les clefs de la maison à Henri SALVADOR, qui en profite pour placer ses accords jazz manouche compliqués mais apportant une saveur incomparable. C'est adorable, très mignon, classique dans le bon sens du terme. Il se permet même un autre duo, plus effacé, avec Beverly Jo Scott : il s'amuse. Toute lourdeur est bannie, rayée de la carte.

Minute papillon. Si le disque dans son ensemble bouge bien et respire la joie de vivre, il est coupé en son milieu par un chef-d'oeuvre à nul autre pareil. "Paloma Dort" est une chanson sombre, crasseuse, désespérée, tant dans le texte que dans la musique. Icelle est signée Art MENGO, et c'est extraordinaire à quel point elle FAIT Art Mengo, sans aucune hésitation possible. Même la scansion d'Eddy, si particulière, vient épouser le style. Cette chanson ne ressemble à rien de ce que Mitchell a jamais pu faire, et non seulement ça fait plaisir de le voir encore sortir de sa zone de confort après 45 ans de carrière, mais en prime, le résultat est splendide !

Album joyeux, un peu long peut-être, Jambalaya est une fête. Les influences musicales sont bien présentes, bien digérées, et le disque réussit à placer stratégiquement un bon nombre de chansons à la fois drôles et entraînantes. Bien sûr on est loin de la classe de Frenchy, mais le propos est différent. Une récréation récréative (NDLR : pour un chroniqueur chronique...) en attendant la suite des aventures.