Quand il quitte les CHAUSSETTES NOIRES pour se lancer dans une carrière solo, Eddy possède déjà deux atouts qui lui donnent une identité à part dans le monde, alors relativement balisé, de la variété française à tendance yéyé. D’abord, il a une voix déjà magnifique, à la tessiture basse, profonde, et qui ne faillit ici presque jamais. Ensuite, il n’a pas que la bouche, il a aussi une gueule, qu’il n’hésite pas à ouvrir bien grand, envers et contre tous. Il n’est donc pas étonnant que son premier effort solo, derrière une légèreté bien d’époque, soit aussi parsemé de petites piques, de tournures “tongue-in-cheek”. Musicalement, il n’y aura pas de révolution de palais : Eddy commence là où son ancien groupe et tous ses potes ont fini, avec la plupart du temps trois accords, des paroles tournant autour de l’enlacement hypothétique de la taille de spécimens féminins divers, et du “chwouingue”. La musique est donc très fortement marquée par son époque, et si tous les ingrédients qui pouvaient plaire en 1963 sont présents, c’est évidemment plus délicat à écouter de nos jours. La naïveté ne sied pas à notre jeune dandy : "Une Fille" fait très SHEILA, "Chain Gang" veut mélanger paroles sombres et surf music (évidemment ça ne fonctionne pas), quelques titres sont purement alimentaires.

On note par contre quelques bonnes surprises : "Tout S’est Réalisé" qui emprunte déjà plus à Tom JONES avec des cuivres bien présents ; "Grâce A Toi", bleuette tellement bien fichue qu’elle finit par faire succomber ; "Quel Est Votre Nom" où les arrangements louchent déjà vers Ennio MORRICONE (qui en 1963 n’en est pourtant qu’à ses débuts, et confidentiels). Plus intéressant encore, sur "Une Fille Si Belle", derrière un message crypto-gay cocasse, Eddy réussit à faire passer une vraie souffrance. Le disque dans son ensemble est donc très fleur bleue, trop simpliste et formaté pour passionner les foules de nos jours, mais il commence tout doucement à mettre Eddy sur ses rails : il sera conteur, passionné de cinéma jusque dans les arrangements, ironique chaque fois que l’occasion se présentera, et s’il sera toujours hanté par le démon du rock’n’roll, il ne lui vouera pas un amour exclusif.

La version remasterisée présente une grosse dizaine de faces B et de singles puisqu’à l’époque, les 45 tours et maxis inédits poussaient comme des champignons. Et elles sont importantes car bien plus étoffées que ce premier album complet. Notons notamment (NDLR : Toi, tu vas être payé gratuitement) un "Angel" aux influences orientales franchement pas monnaie courante pour l’époque, des incursions dans le jazz avec des reprises de "C’est si Bon" et du maître AZNAVOUR, et puis la perle, un "Be Bop A Lula" au tempo divisé en quatre, canaille comme pas deux, aux arrangements très soignés, et Mitchell qui se prend déjà pour un taquin chef d’orchestre. Premier bijou pour un chanteur qui n’a pas fini de nous en livrer, de diverses tailles et couleurs.