Quatrième volet tiré du coffret The Early Years 1965-1972, Devi/ation est bien évidemment tout entier consacré à l'année 1970 et fait la part belle à la suite "Atom Heart Mother", à deux reprises sur le CD1 et une troisième fois sur le CD2. Quel intérêt d'avoir ces trois versions en plus de celle que nous connaissons sur le disque éponyme ? Si vous n'aimez pas ce morceau, vous risquez de ne pas l'aimer davantage et vous passerez à côté d'un titre qui, pour ma pomme, symbolise parfaitement le son des PINK FLOYD, à égalité avec l'autre suite du début de cette décennie, à savoir "Echoes".

La première version, longue de 17'58, est la restitution du titre joué durant le concert donné à Montreux le 21 novembre 1970. Plus longue de près de trois minutes par rapport au concert japonais d'Hakone du mois d'août 1971 (cf. ma chronique sur le disque sorti en 2023), il montre un groupe en pleine maîtrise et, comme au Japon, le titre y est joué sans orchestre. Petit reproche, une surexposition (peu fréquente) du clavier par rapport aux autres instruments. Même si le son y est particulièrement clair et remarquable, vraisemblablement pris directement sur la table de mixage. Il est étonnant, avec toutes ces pistes enregistrées en concert durant toutes ces années que nous ayons été obligés de nous contenter du son des bootlegs non officiels alors que le groupe aurait pu couper l'herbe sous les pieds des pirates pour contenter la cohorte de leurs fans.

La seconde est conforme, en temps, à la version studio et a été enregistrée avec chœurs et orchestre. Quelle version magnifique ! On a l'impression d'avoir les musiciens dans la pièce, avec parfois des notes pas toujours très justes (du côté des cuivres ou des chœurs). Ceci paraît logique dans la mesure où les musiciens jouant ce titre n'étaient pas ceux qui avaient été utilisés pour l'enregistrement officiel. D'ailleurs, la difficulté majeure pour les membres du groupe était que les musiciens n'étaient jamais les mêmes sur l'ensemble des prestations, que ce soit en Europe ou sur la côte Ouest ou Est des Etats-Unis. Or, pour les versions orchestrales, il y avait une vraie nécessité de répétitions qui étaient souvent trop réduites pour obtenir la qualité maximale désirée par le quatuor. Par ailleurs, le groupe ne bénéficiait que de l'appui de musiciens de studio alors que les musiciens de formations symphoniques locales étaient recherchés. Ceci a entraîné une véritable frustration du groupe, qui peut expliquer leur 'mésamour' à l'endroit de leur œuvre. Pourtant, la version présente sur ce disque, enregistrée pour la BBC le 16 juillet 1970, est fantastique et, rien que pour ce titre, l'achat de ce disque ne se discute pas.
Petite anecdote, le groupe avait déjà commencé à se produire sur scène avec ce morceau sous le titre "The Amazing Pudding" ou "Consequently" dès le 18 janvier 1970*. Or le concert de la BBC allait obliger le groupe à trouver un titre plus adéquat pour des raisons de droits et de royalties. L'histoire veut que c'est en lisant dans le journal de John Peel, The Evening Standart, qu'une certaine Constance Ladell, âgée de 56 ans, venait de se voir implanter le premier pacemaker au plutonium en Grande-Bretagne, sous le titre "The Atom Heart Mother Is Named", que Ron Geesin dit au groupe 'vous avez trouvé votre titre' et les musiciens d'ajouter : 'ouais, ça sonne bien'.

Troisième version d'une durée de 19'15, celle-ci met en avant deux 'solo' de batterie de Nick Mason au départ du titre ainsi que dans le passage avant la dernière envolée, retirés par la suite. Cette version était celle à partir de laquelle Ron Geesin a dû travailler dès mars 1970, sans savoir vraiment où il devait aller, les seules indications étant celles plutôt vaseuses de GILMOUR. D'ailleurs, la voix de l'intéressé ainsi que celle de MASON étaient prévues avant que l'idée ne soit rejetée. Cette version permet de mieux comprendre la place du groupe au milieu de l'orchestre et surtout comment celui-ci s'est adapté pour jouer le titre sur scène SANS orchestre.

Les autres titres de ces disques sont loin d'être dénués d'intérêt. La seconde version d'"Atom Heart Mother" sur le CD1 concluait le set de la BBC, les titres précédents étant "Embryo", "Fat Old Sun", "Green Is The Colour", "Careful With That Axe, Eugene" et "If", ce qui fait que l'album a été joué ce jour-là aux deux tiers. "Embryo" tranche avec la version du disque de 1969, déjà parce qu'elle est en concert, et surtout parce qu'il s'agit d'un titre qui faisait souvent l'objet d'improvisations. Ici, il passe d'un peu plus de 4'30 dans sa version studio à 11'10 avec bruitages de type des babillages d'un enfant en bas âge ou cris de jeunes enfants à l'école. Surtout, GILMOUR commence à utiliser sa guitare en sortant des sons avec énormément de delay qui préfigurent le morceau "Echoes", un an plus tard. Enorme performance. "Green Is The Colour", extrait de More, fait partie des morceaux bucoliques invitant à la rêverie. Là encore, le son est fantastique pour un titre que j'adore, même si en l'espèce, je n'apprécie pas trop les mélopées de GILMOUR qui utilise sa voix pour faire son solo. Le titre s'enchaîne sans interruption avec "Careful With That Axe, Eugene" et là, avec ce son extraordinaire, le titre dépasse très largement la version live de Ummagumma. C'est simple, à un moment, je me suis mis à penser que TANGERINE DREAM s'était largement inspiré de ce titre pour Cyclone. Juste un petit regret, que le cri de WATERS soit sous-mixé. Mais quel régal !

Pour la partie la plus récente, "Fat Old Sun" semble être un des titres préférés de GILMOUR puisqu'il le joue régulièrement en solo depuis que les FLOYD ont cessé d'exister. Il fait partie aussi des titres que j'aime particulièrement et cette version paraît plus dépouillée que les plus récentes. Le solo n'est pas en saturation mais plutôt en mode clear. Un peu de manque de puissance pour ma part. Cependant, la clarté du son permet de distinguer parfaitement l'apport de chacun des instrumentistes. Enfin, "If" est conforme à la version studio avec ce son extraordinaire (je me répète).

Le CD2, quant à lui, nous permet d'entendre des titres 'perdus' des séances d'enregistrements pour le film d'Antonioni, Zabriskie Point. En fait de 'perdus', certains titres étaient déjà connus de longue date et avaient fait l'objet de sorties plus ou moins officielles, "On The Highway" n'est jamais que "Crumbling Land" amputé des trois quart du titre. "Auto scene version 2" est connue sous le titre "Country Song Theme" et est accélérée par rapport à celle qui est sortie officiellement en 1997. "Aeroplane", inédite officiellement, était connue sous le titre "Fingal's Cave". "The Riot Scene" est un titre de travail, trois ans avant sa sortie officielle, de "Us And Them". Ici, le titre dure 1'40 mais a été amputé de 4'30 depuis sa version connue sous le nom de "The Violent Sequence". "Looking At Map" est une autre version de "Country Song". A noter que "Country Song" est une chanson avec paroles alors que là, nous avons seulement une ébauche de cette chanson avec GILMOUR qui chantonne au-dessus des instruments.

"Love Scene" a fait l'objet de plusieurs essais. Ici, nous avons la version 7, très countrysante et connue sous le titre de "Rain In The Country" ou "Unknown Song" que l'on connaît depuis la sortie du double-album de 1997, et les versions 1, très largement amputée par rapport à celle connue des fans, et la 2 qui bénéficie de son développement le plus important avec un son de vibraphone (à moins que ce soient les claviers de WRIGHT passant par la moulinette du Leslie). Au final, c'est Jerry Garcia du groupe GRATEFUL DEAD qui hérita de cette séquence, l'ensemble des prises ayant été abandonnées jusqu'à ce jour, sauf les versions 4 et 6 qui étaient sorties dans l'édition augmentée de 1997. "Take Off" pour sa part est connue pour faire partie du film et était associée à "Crumbling Land" dans le long-métrage. Ici, le titre est laissé seul et c'est la première fois qu'il apparaît officiellement dans la discographie du groupe en deux versions.

Enfin, si la majorité des titres étaient plus ou moins connus, avec cependant un son largement inférieur, deux titres sont totalement inédits en l'espèce, "Auto scene version 3", un rock bien gras et typique du son de l'époque ainsi que "Explosion", une sorte de digression à partir de "Careful With That Axe, Eugene". Là encore, le fan se réjouit de ces cadeaux.

En cette année 1970, le groupe est pleinement lancé, même s'il cherche encore sa direction musicale. Mais ce qui est sur ce double CD est proprement fantastique. Un disque indispensable pour tout amateur des PINK FLOYD de cette période. Un 5/5 absolument mérité.

*30 concerts ont été produits avec "Atom Heart Mother" durant l'année 1970 avant la sortie officielle du disque le 02 octobre de la même année.