Une fois l'accession aux hautes sphères progressives atteinte avec The Yes Album, il fallait bien continuer sur la même voie pour YES. Mais pas avec Tony Kaye, qui restait accroché à ses claviers déjà vieillots. D'où départ de ce dernier, et arrivée de Rick Wakeman, alors réputé en tant que requin de studio (le piano sur Hunky Dory, c'est lui !). Un tournant majeur dans l'histoire de YES, rien que ça.

Et Fragile, premier album avec le claviériste, le prouve. Très franchement, il n'y a pas grand-chose à jeter. Pas grand-chose... c'est donc qu'il n'y a pas rien. En effet, si Fragile ne mérite pas la note maximale, c'est bien à cause des petits morceaux solo de Jon Anderson, Bill Bruford et Rick Wakeman : le premier ("We have Heaven") est un mantra bien saoulant, le deuxième ("Five per cent for nothing") montre un batteur doué à l'écriture mais encore trop bridé par lui-même, et le troisième est une irritante reprise de Brahms ("Cans and Brahms"). Mais les fans semblent avoir tendance à faire preuve d'indulgence, tant le reste est bien au-dessus.

Dans un premier temps, Chris Squire se débrouille mieux avec "The Fish", un grand moment dans l'histoire de la basse, et Steve Howe (se) fait plaisir avec "Mood for a Day". Mais si Fragile est devenu culte, c'est pour ses longs morceaux que tout fan de YES connaît par coeur ou presque (à force d'être systématiquement joué en concert). Et ils se trouvent en alpha et en oméga : "Roundabout" est un véritable festival progressif où la technicité et la mélodicité se confrontent pour déboucher sur un travail « collectif » impressionnant, et "Heart of the Sunrise" est typiquement le genre de morceau qui, 4 décennies plus tard, peut encore donner des leçons aux progueux qui ne connaissent que la technique pour la technique, oubliant ainsi d'emporter l'auditeur au-delà de ce plan. Et pour ne pas être injuste, il ne faudrait pas écarter "South Side of the Sky", étonnamment sombre de prime abord, et où la basse de Squire se fait lourde, au point de faire trembler les métalleux de l'époque.

À trois morceaux près, Fragile aurait pu être l'album référentiel de YES. Enfin, dans les faits, il l'est, mais pas totalement ni de manière unanime. Mais il permet de montrer un rock progressif, certes encore bien proche de la pop comme a pu l'être The Yes Album, mais pertinent et dont chaque fioriture ou presque est justifiée.