En 2012, KING CRIMSON se conjugue au passé. En effet, 4 ans se sont déroulés depuis la petite tournée effectuée aux États-Unis, sans qu'on ait eu de nouvelles concrètes de la bande de Robert Fripp. Enfin si, mais disons qu'à l'époque, le guitariste paraissait de plus en plus résigné quant à sa place dans la musique. Bien évidemment, en 2019, on se gausse comme une baleine en voyant que K.C. s'est finalement réactivé en 2013 et n'a depuis jamais cessé de tourner, grâce à une osmose idéale jamais vue auparavant au sein du groupe. Mais quand même, à l'époque, certains fans ont dû mal le vivre, et d'autres encore y ont vraiment cru, surtout quand le coffret dédié à Larks' Tongues in Aspic est sorti.

Larks' Tongues in Aspic... sans doute l'un des albums les plus percutants non seulement du rock progressif, mais aussi du rock tout court. Sorti en 1973, il témoigne d'une période elle-même déjà conjuguée au passé, un passé tout proche où Fripp, après un ménage radical (il a viré tout le monde en avril 1972), s'est entouré d'une équipe de tueurs féroces, coupables d'albums marquant définitivement l'histoire. Dans un premier temps, soir après soir, le quintette foulait les planches en délivrant une musique déchaînée, féroce, sombre par moments, où le talent combiné de tous débouchait sur une grammaire musicale faisant table-rase du passé ou presque, avec des improvisations tellement exceptionnelles qu'on a du mal à croire que ce KING CRIMSON-là n'avait que quelques mois d'existence.

C'est cette période que nous propose d'explorer le coffret de 2012. En 9 CD réunissant 7 concerts, il offre une quantité certes clairement pas exhaustive mais suffisamment étalée, instructive et riche. Depuis le live au Zoom Club (octobre 1972) jusqu'au live à Portsmouth (décembre 1972), il est donc question d'apprécier ce que Fripp, John Wetton, David Cross, Bill Bruford et surtout Jamie Muir avaient à proposer. Et le résultat est édifiant, dès le premier soir, dans une salle de concert allemande. À chaque concert, les morceaux s'enchaînent. Le groupe tisse de ses compositions bien établies des improvisations gagnant en puissance et en intensité, et se déversant dans les oreilles tel un magma mouvementé. En un mot : grandiose.

Les bémols répondent cependant présents dans ce coffret. Oh, pas forcément dans le fond : les morceaux sont impeccablement joués, et côté lecture, le livret qui va avec est instructif à plus d'un titre. Le problème, c'est la forme. Les concerts sont en effet des bootlegs récupérés ça et là et officialisés, et donc la qualité sonore moyenne est... très moyenne (hahaha). Aussi formidables soient les impros, il faut vraiment lutter pour pouvoir les écouter. À ce stade, même Steven Wilson, qui livre par ailleurs un nouveau mix de l'album studio assez intéressant, ne peut rien faire. Après, contrairement aux deux coffrets suivants, les morceaux sont au moins complets ici. Certains fans, assez modérés, pourront également s'interroger sur la présence du live au Zoom Club et du live donné pour le Beat Club, déjà bien connus depuis des années, même par la voie officielle. L'intérêt historique arboré par le rassemblement d'archives relativise, mais on peut comprendre la légère gêne.

Un mot ensuite sur la partie DVD/blu-ray. Outre la présence de l'album Larks' Tongues in Aspic dans son mix en 5.1, on retrouve également ce fameux extrait du KING CRIMSON de l'époque, où il jouait "Larks' Tongues in Aspic, Part I", avec moult effets visuels à la con. En soit, ces 7 minutes de folie progressive montrent bien que la réputation de groupe chiant à voir sur scène est un petit peu surfaite – bon, surtout grâce à Muir, en fait. Mais ici, on a TOUT l'équivalent vidéo de The Beat Club, Bremen. Soit, en plus, un "Exiles" particulièrement goûteux et surtout, surtout, cette longue improvisation, "The Rich Tapestry of Life", à la qualité sonore remarquable. Et le tout est servi avec beaucoup moins d'effets visuels : que demander de plus ?

En résumé, le coffret Larks' Tongues in Aspic est un indispensable de la discographie étendue de KING CRIMSON. Malgré la qualité sonore plus que discutable des concerts ici présents, le simple fait de voir la puissance de la période Wetton option Muir dans toute sa splendeur vaut le coup de s'y attarder. Un must pour les fans hardcore, même si des oreilles courageuses pourraient tenter l'aventure.

PS : dans la tracklist, les impros sont signalées par des astérisques