Les disciples de Miles DAVIS ont fondé leur propre école et le trompettiste ne peut plus compter sur eux en tant que forces créatives. Des expériences d’In a Silent Way et Bitches Brew où il a su mettre en synergie le talent des autres, il doit désormais tirer seul les bénéfices.

A l’heure où FUNKADELIC publie Maggot Brain{fi], DAVIS fait un nouveau pas en direction du Funk. On the Corner se montre le plus radical dans ses choix et déplace encore les frontières. Le son est dur. Le recours à la saturation et à la pédale wah-wah s’est généralisé. La basse électrique a remplacé la contrebasse. DAVIS applique également l’électricité à sa trompette qui devient acide et corrosive. En trois ans, on est passé d’un peu d’électricité au tout électrique. Tout ou presque : les percussions passent encore entre les gouttes mais subissent un sérieux lifting. La charleston est remise au centre de la machine, lourde, grasse, sexuelle. La caisse claire est métronomique, les rythmes binaires. On the Corner met en place un groove urbain et minimaliste. Il n’a pas les couleurs ni l’opulence de Bitches Brew mais est chargé d'odeurs : un mélange de transpiration, d’asphalte et de cuisine asiatique. Les tablas et les sitars ne sont que des leurres. Ils évoquent plus le passage devant un quartier indien qu’une escale à Bombay. L’Afrique a également disparu mais il fait toujours aussi chaud. Les filles ont passé des jeans moulants, les décolletés sont de sortie, les sirènes hurlent. Welcome in New York City.
Grands perdants de l’opération, les claviers ont souvent du mal à s’imposer. Herbie HANCOCK introduit pourtant le synthétiseur dans la musique de DAVIS comme il l’avait fait avec le piano électrique. Les résultats sont trop mitigés pour en faire une nouvelle révolution. Cette révolution, c’est bien HANCOCK qui la mènera, mais seul.
L’editing de Teo MACERO réorganise deux longues suites autour d’un concept, ou plutôt d’un décor : la ville ("On the Corner"), les rencontres qu’on peut y faire ("New York Girl") et les perspectives intéressantes qu’elles offrent ("Black Satin").

Miles DAVIS qui voulait réconcilier la jeunesse noire américaine avec le jazz signe ici un funk intello sur mesure et rend hommage à Malcolm X. On the Corner est un disque de caractère et un incontournable de la période électrique, même s'il m'enthousiasme moins que ses glorieux aînés. Pour les passionnés, les Complete On the Corner Sessions proposent l’intégralité des sessions avant leur montage.