La Symphonie n°3 Premier mai est assez mal aimée des admirateurs de CHOSTAKOVITCH. Le plus doux des musicologues se transforme en bête sauvage quand on lui glisse à l’oreille : « La Troisième ? J’aime bien. » Ne faites jamais cela ! Sous aucun prétexte ! Plusieurs conditions sont requises avant de pouvoir exprimer son goût pour cette vilaine petite chose. Assurez-vous au préalable du penchant de votre interlocuteur pour les outrances de l’art soviétique. Une pièce de Maïakovski ou Les Communistes d’Aragon dans une bibliothèque ? Un enregistrement du Chant des forêts planqué derrière la compil’ Champions du monde 98 ? Une peinture réaliste-socialiste dans les toilettes ? Voilà un homme susceptible de nous intéresser.

Testez ensuite le degré de chostakovite atteint par notre sujet d’étude. Il se contente d’écouter la Valse n°2 ? A proscrire… Il connaît les meilleurs symphonies et quatuors ? Peu concluant : une attirance pour le génie n’a rien d’anormal. Il pousse le vice jusqu’à s’infliger les cycles vocaux qui s’inspirent de poèmes d’Evgueni Dolmatovski ? On brûle ! On brûle ! Il part d’un éclat de rire franc et honnête à chaque visionnage du ballet L’Âge d’or et connaît les équipes de foot soviétiques que CHOSTAKOVITCH supportait ? Nous tenons notre homme !

En tout et pour tout, ça doit faire dix personnes sur Terre, moi compris. Ne désespérez pas, on finit toujours par rencontrer l’âme sœur. Au pire, les admiratrices de Mike OLDFIELD ont aussi leurs qualités… et on peut toujours partir d’une digression fallacieuse sur la B.O. de Killing Fields pour aborder les musiques de film soviétiques.

Car oui ! oh tiens ! quel hasard ! l’inspiration principale de CHOSTAKOVITCH pour sa Troisième symphonie, ce sont les musiques de films. Notre jeune compositeur, pianiste émérite de cinéma, a eu tout le loisir de se consacrer à cet art naissant quand il s’engage dans la composition de sa nouvelle œuvre en 1929. Le pari fou du musicien (accroche digne d’un « journaliste » de M6) est de composer une symphonie sans répétition de thème… ce qui n’est plus vraiment une symphonie, mais si on n’est pas audacieux dans les années vingt, quand alors ? Comme pour les deux symphonies précédentes, les bois jouent un rôle prépondérant et introduisent souvent les différents thèmes. On a vraiment l’impression d’assister au défilé du premier mai, chaque thème représentant un char, celui de l’Armée rouge étant plus repérable que les autres. Percussions martiales et cuivres ronflants annoncent rarement les jolies fermières de la Volga (hélas !).

Et une fois de plus, les ambitions du jeune CHOSTAKOVITCH achoppent sur la propagande de son temps. Là, il y a deux options : vous éprouvez un plaisir coupable pour les Chœurs de l’Armée rouge, alors le finale choral peut vous plaire. Ou bien, vous êtes parfaitement russophone, épris de modernisme, et même OFFENBACH, ça ne vous fait pas rire du tout : passez votre chemin. Il y a plus de sucre dans le finale chanté de la Symphonie n°3 que sur un stand de barbe à papa : l’époque est encore aux chants révolutionnaires triomphants et naïfs. L’ensemble est assez imposant, épique, et c’est là que réside son pouvoir d’attraction.

La Symphonie n°3, c’est mauvais, mais c’est émouvant. Contrairement à d’autres œuvres de propagande de CHOSTAKOVITCH qui sont clairement insupportables (Le Soleil luit sur notre mère patrie), celle-ci se laisse écouter, et c’est seulement pour cela que deux étoiles brillent à son veston.


Fiche « Troisième Symphonie »
Opus : 20
Date de composition : 1929
Date de création : 1930 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1972 par Kyrill Kondrachine et l’Orchestre philharmonique de Moscou
Références du disque : Intégrale des symphonies par Kyrill Kondrachine, Disque 1, Symphonies n°1, 2 & 3, Melodiya, 2006.