En cette fin des années cinquante, ça ne va pas fort pour CHOSTAKOVITCH. Le compositeur a pourtant toutes les raisons de se réjouir : Staline et Jdanov sont morts, Khrouchtchev s’est attaqué au culte de la personnalité, et il peut enfin se déplacer plus librement. Oui mais voilà, l’inspiration lui fait défaut. Depuis la Onzième symphonie, il n’a pas écrit grand-chose de marquant, tout juste une petite opérette en 1958. Mais en 1959 tout va changer. CHOSTAKOVITCH reprend du poil de la bête et compose trois œuvres excellentes en l’espace d’un an : le Concerto pour violoncelle n°1, ainsi que les Quatuors à cordes n°7 et 8. Rien que ça…

Le Premier Concerto pour violoncelle et orchestre est sans doute le meilleur concerto jamais composé par CHOSTAKOVITCH. L’instrument est bousculé, on exploite toutes ses possibilités, et plus encore. Sur l’« Allegretto » comme sur le « Finale », le violoncelle émet des plaintes dont on le croyait incapable. Interpréter ces passages relève du funambulisme ; la partition pousse à la faute et l’ombre du grand Mstislav plane comme un reproche au-dessus de l‘interprète qui serait moins que génial. Le compositeur puise allègrement dans le répertoire populaire, avec une forte teinte tzigane et juive. Le premier mouvement est occupé en grande partie par un thème virevoltant que le soliste décline sous toutes ses formes.

Au cœur du concerto, un « Moderato » plein de mélancolie. CHOSTAKOVITCH tisse un mouvement complexe où la tristesse est un fil rouge bien commode. Une danse calme surgit à mi-mouvement ; l’orchestre est spectral. La musique a perdu l’entrain de l’« Allegretto ».
Les deux derniers mouvements franchissent un pas de plus dans le sens du modernisme. Le violoncelle, souvent joué pizzicato, est méconnaissable. Le « Cadence » redonne un peu d’allant au Concerto ; le « Finale » lui offre une conclusion troublante. Le violoncelle, impérial jusqu’alors, est malmené par les stridences de la clarinette et la violence des percussions. L’œuvre trouve une fin abrupte dans un roulement de grosse caisse énigmatique.

A ce jeu-là, Paul TORTELIER livre une excellente interprétation qui n’a rien à envier aux violoncellistes russes. Sa performance est particulièrement brillante pour les deux derniers mouvements. Il rend à merveille la nervosité qui gagne peu à peu la « Cadence », sans céder à la démonstration, si tentante sur ce genre d’exercices. Sa lecture du dernier mouvement fait ressortir tout l’aspect cauchemardesque et grotesque du « Finale », un véritable pendant au chaos musical de la Quatrième Symphonie interprétée par KONDRACHINE.

Dans le monde peu fréquenté des concertos pour violoncelles, cette première partition du compositeur soviétique fait figure de pièce maîtresse. Si vous en avez l’occasion, écoutez également l’interprétation de ROSTROPOVITCH, qui vaut son pesant de cacahuètes. Vous y découvrirez que la différence n’est pas si grande entre un virtuose russe et un tzigane fou de l’archet.

Fiche « Concerto pour violoncelle n°1 » :
Opus : 107
Date de composition : 1959
Date de création : 1959 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1973 par Paul Tortelier, Paavo Berglund et l’Orchestre symphonique de Bournemouth
Références du disque : Shostakovich – The Concerto Album, Disque 2, EMI Classics, 2008