Le Quatuor n°3 est souvent considéré comme le premier chef d’œuvre de la série des quinze. L’argument avancé est le suivant : c’est le premier quatuor où CHOSTAKOVITCH développe un style véritablement personnel et une variété de sentiments remarquables. À voir…

Pour la nouveauté des moyens de composition, il y a un précédent : le Quatuor n°2, qui allait déjà un peu plus loin que le classicisme du premier. Le Quatuor à cordes n°3 n’est qu’une marche de plus dans l’ascension vers un style neuf, pas un coup de génie soudain. Au regard des Quatuors n°5, 8, 10 ou 15, il n’a même rien de particulièrement renversant. Sa richesse est avant tout thématique, avec des mélodies très marquantes. Celle qui œuvre le quatuor, en particulier, rappelle les grandes inspirations du Quintette avec piano ou du Second Trio.

La richesse thématique appelle la variété des sentiments, là au moins, la tradition n’est pas trompeuse. Le Quatuor à cordes n°3 est un véritable recueil d’humeurs, de l’enthousiasme à l’abattement, de l’éclat de l’« Allegretto » à l’obscurité du « Moderato con moto ». CHOSTAKOVITCH glisse de plus en plus vers le modernisme, mais un modernisme d’expression plutôt que de technique. La modernité passe par l’humour, l’évocation de la catastrophe collective, plutôt que par un bouleversement des structures musicales.

Les contours énigmatiques du quatuor ne sont pas pour faciliter le jugement. C’est une pièce qui touche selon l’humeur, le moment, et non une œuvre géniale et évidente à la façon du Quatuor n°8. Hormis les trouvailles rythmiques du « Moderato con moto » et les volte-face de l’ « Allegro non troppo », on a bien du mal identifier ce qui fait l’identité du Troisième Quatuor. On pourrait peut-être le résumer à l’introduction du dernier mouvement, quand le violoncelle accompagné d’un violon joué pizzicato expose un thème brumeux et incertain.

Quatuor entre deux eaux, le n°3 est une œuvre intéressante, parfois captivante, mais qui n’a pas la force du génie. Il possède beaucoup plus de points communs avec les deux premiers quatuors qu’on ne le dit souvent. CHOSTAKOVITCH y tâtonne encore, mais on sent que la recherche est sur le point d’aboutir à quelque chose de grand. Ce sera pour le Quatuor à cordes n°5…

Fiche « Quatuor à cordes n°3 » :
Opus : 73
Date de composition : 1946
Date de création : 1946 à Moscou
Date d’enregistrement : 1983 par le Quatuor Borodine
Références du disque : Intégrale des quatuors à cordes par le Quatuor Borodine, Disque 2, Melodiya, 2006.