CHOSTAKOVITCH, l’homme à tout faire de la musique moderne. Opéras, ballets, œuvres pour piano, symphonies : la fin des années 1920 et le début des années 1930 sont marqués par la profusion des genres. On connaît bien les œuvres les plus délirantes de la période : les opéras (Le Nez, Lady Macbeth du district de Mzensk), les ballets (L’Âge d’or, Le Boulon), les symphonies propagandistes (n°2 et 3). Du côté des œuvres pour piano, les Vingt-quatre Préludes, achevées en 1933, passeraient presque inaperçues dans cette débauche de travaux pharaoniques. Dans la droite ligne d’œuvres de jeunesse comme la Suite pour deux pianos et le Premier Trio, les Vingt-quatre préludes développent de multiples influences, à la croisée des héritages occidentaux et russes.

Erik SATIE surtout : comment ne pas penser au maître de l’esquisse à la française devant ces courtes et fragiles compositions. CHOSTAKOVITCH prend le contrepied de ses œuvres scéniques et propose une musique délicate, touchante, où le piano se réduit à un murmure (« Prélude n°10 »), avant de céder à un ton vif et joyeux (« Prélude n°8 » entre autres). Empressée, percutante, la musique du compositeur soviétique, malgré l’empreinte classique, porte bien la marque du modernisme. PROKOFIEV n’est pas loin. L’audace est bien pesée ; le large spectre musical abordé ne nuit pas à la cohérence de l’ensemble.

Paradoxalement, c’est sans doute ce ton mesuré qui nuit le plus aux Vingt-quatre Préludes. La fugacité des compositions, l’alternance systématique entre langueur et vélocité, trop marquée peut-être, rendent l’œuvre peut attrayante par rapport aux coups d’éclat bigarrés de ses contemporaines. On ne s’ennuie pas, pourtant : certaines mélodies sont entêtantes (« Prélude n°12 »), l’humour fait quelques apparitions remarquées, sur le « Prélude n°13 » notamment, curieuse petite marche débonnaire.

Ce qui différencie fondamentalement les Vingt-Quatre Préludes des autres œuvres pour piano seul de CHOSTAKOVITCH, c’est l’originalité qui surgit à chaque morceau. L’académisme propret du Trio et le modernisme emprunté de la Première Sonate et des Aphorismes ne sont plus que de lointains souvenirs. Au côté du Premier Concerto pour piano, ce cycle de préludes dévoile un compositeur à l’aise dans tous les registres. Dès 1933, l’artiste-caméléon dispose de toutes les armes pour répondre au défi cruel imposé à la musique par le pouvoir. Être génial, pour CHOSTAKOVITCH, c’est avant tout une question de survie.


Fiche « Vingt-Quatre Préludes pour piano »
Opus : 34
Date de composition : 1932-1933
Date de création : 1934 à Leningrad
Date du concert : 2008 par David Kadouch
Références du disque : Dmitri Shostakovich – 24 Piano Preludes, Piano Quintet, Transart Live, 2009.