Le Quatuor à cordes n°5 est une véritable petite révolution dans la série des quinze signée par CHOSTAKOVITCH. En 1952, c’est un compositeur aux abois qui écrit cette longue pièce d’inspiration symphonique. Rien à voir avec les quatre quatuors précédents, qui naviguaient dans les eaux tranquilles de la musique de chambre classique sans oser s’aventurer sur le Grand Océan. Le Cinquième, lui, bouscule les codes et les instruments, comme un prélude à la Symphonie n°10 de 1953.

La structure même du quatuor est remarquable : trois mouvements de dix minutes chacun, qui s’enchaînent sans interruption ni contraste violent. Le moins que l’on puisse dire, c’est que CHOSTAKOVITCH a soigné ses transitions. Celle qui lie l’« Allegro non troppo » et l’« Andante » est particulièrement audacieuse. Une note tenue très aigue met un terme au crescendo tragique du premier mouvement, avec un accompagnement pizzicato. Cette note interminable, on la retrouve en introduction du deuxième mouvement, courant sous la noirceur du thème d’ouverture.

Suivre le long développement du quatuor peut s’avérer éprouvant, d’autant plus que CHOSTAKOVITCH y trace les premières esquisses de la violence des quatuors à venir. L’affrontement des thèmes, les stridences des violons, le jeu implacable du violoncelle : tout cela demande un petit temps d’adaptation. Le compositeur a quand même pris soin de tendre quelques perches aux noyés : l’introduction légère et vive, un thème profondément émouvant au sein de l’« Andante », la sérénité attachante de certains passages du Moderator… Il offre même une fausse conclusion exaltée au Quatuor avant de céder de nouveau à l’introspection.

Quand on considère l’ensemble des mouvements lents composés par CHOSTAKOVITCH dans les années 40 et 50, l’« Andante » du Quatuor n°5 peine à se démarquer. C’est un bon mouvement, sans aucun doute, une sorte de paysage lunaire mis en musique, mais il lui manque le « coup de grâce », la petite étincelle de génie qui fait que l’on accepte l’œuvre sans réserve.

Quatuor ou symphonie, l’identité du Cinquième Quatuor à cordes est plutôt énigmatique. Que BARCHAÏ l’ait négligé dans sa réorchestration des quatuors de CHOSTAKOVITCH, cela reste pour moi un mystère. Même s’il n’est pas tout à fait du même calibre que les Quatuors n°8 et 10, sa structure se prête beaucoup mieux à une adaptation pour orchestre que le n°4, par exemple. Un grand Quatuor donc, mais pas encore un chef-d’œuvre.

Fiche « Quatuor à cordes n°5 » :
Opus : 92
Date de composition : 1952
Date de création : 1953 à Moscou
Date d’enregistrement : 1983 par le Quatuor Borodine
Références du disque : Intégrale des quatuors à cordes par le Quatuor Borodine, disque 3, Melodiya, 2006.