La discographie de CHOSTAKOVITCH est un peu à l’image de la Fédération de Russie. Sur une étendue immense, des dizaines de peuples différents cohabitent, plus ou moins oubliés par le pouvoir central. Les Tchouktches par exemple, qui vivent à l’extrême nord-est, on ne les mentionne souvent que pour leurs coutumes pittoresques. Le Quatuor à cordes n°2, c’est un peu pareil. On l’évoque rarement, ou alors en deux lignes, avant de passer au n°3, qui bénéficie d’une renommée bien plus conséquente. Mais pour ce quatuor comme pour le peuple tchouktche, une fois qu’on s’y intéresse, on apprend des choses fascinantes.

Le défaut majeur du quatuor, et ce qui explique sans doute le désintérêt des critiques, c’est qu’il est très inégal. L’ « Ouverture » et la « Valse » font pâle figure à côté du « Récitatif et Romance » et du « Thème avec variations ». L’« Ouverture » n’est pourtant pas dénuée de bonnes trouvailles, mais tous ces épisodes qui s’enchaînent manquent de lien, et les aigus sont parfois éprouvants. Pour une musique teintée de folklore, c’est embêtant. La « Valse » renonce à son aspect dansant et hésite constamment entre empressement et méditation. Dans l’ensemble, elle est peu convaincante, et souffre de la comparaison avec les deux mouvements qui l’entourent.

Le second mouvement « Récitatif et Romance », marque une pause dans le développement de l’œuvre : introspection, circonvolutions ; le compositeur semble vouloir tester la capacité de ses interprètes à jouer avec les sentiments. C’est un mouvement lent qui rappelle les « champs de ruines musicaux » composés par CHOSTAKOVITCH pour ses symphonies de guerre. Le violoncelle est utilisé de manière très intéressante. Il introduit et conclut chaque épisode de quelques notes sèches, et dans l’intervalle, se limite souvent à une note tenue qui fait office de basse. Là-dessus les trois violons s’abandonnent à la mélancolie, avec de rares assauts de vigueur. C’est le recueillement bien plus que le lyrisme qui domine cette « Romance ».

Le sommet du Quatuor n°2 reste néanmoins le « Thème avec Variations ». Ce genre de mouvements a toujours quelque chose d’énigmatique, une impression d’infini musical qui veut bien se laisser dompter. Le principe est très simple : on expose un thème, et on lui fait subir une multitude de variations. Après une longue introduction au violoncelle, le thème est exposé par le violon, puis constamment répété par différentes combinaisons instrumentales. Les trois violons à l’unisson lui donnent un surcroît de force, tandis que joué par le violoncelle seul, il acquiert une teinte folklorique et dansante. La conclusion, absolument géniale, métamorphose complètement le thème en étirant ses notes, ce qui lui confère un élan grandiose.

L’intérêt de l’intégrale enregistrée par le Quatuor Borodine apparaît clairement dans le cas du Quatuor n°2. Au-delà des pièces les plus connues, les quatre musiciens nous invitent à redécouvrir les morceaux injustement oubliés des quinze quatuors, comme ce « Thème et variations » envoûtant. Bien sûr, le meilleur est encore à venir dans la série des quinze. Mais contrairement aux symphonies, aux concertos ou aux cycles vocaux, CHOSTAKOVITCH ne connaît aucun « ratage » parmi ses quatuors. Peut-être le signe qu’au cœur des persécutions, le compositeur était parvenu à trouver le moyen d’expression qui lui convenait le mieux, exempt de propagande et si riche en possibilités.


Fiche « Quatuor à cordes n°2 » :
Opus : 68
Date de composition : 1944
Date de création : 1944 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1982 par le Quatuor Borodine
Références du disque : Intégrale des Quatuors à cordes par le Quatuor Borodine, Disque 1, Melodiya, 2006.