Parlons un peu d’Ivan Sollertinski, puisque la dédicace de ce Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 nous y invite. C’était un intellectuel russe, le meilleur ami de CHOSTAKOVITCH. Les deux larrons s’étaient rencontrés dans les années 1920 au conservatoire de Leningrad, et partageaient deux passions : la musique et le football (bel ensemble !). C’est aux conseils de ce fameux musicologue que CHOSTAKOVITCH devait son amour pour MAHLER, alors méconnu, et sans doute quelques autres découvertes capitales. Mais voilà qu’un jour de février 1944, l’ami fidèle fait faux bon pour la première et la dernière fois. C’est une crise cardiaque qui a raison de l’ami de toujours, une mort d’une simplicité presque provocante en ces temps de guerre totale et de délire exterminateur. On emporte Sollertinski dans sa caisse de sapin : après la Grande Terreur, c’est le second coup frappé par la Mort à la porte du compositeur.

Le Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 est composé dans les jours qui suivent la mort de Sollertinski, et lui est logiquement dédié. Après la Symphonie n°8, c’est une autre œuvre magnifique qui vient couronner les années de guerre. CHOSTAKOVITCH, dès les premières mesures, annonce la couleur. Le violon entame une plainte funèbre à laquelle se joignent peu à peu le piano et le violoncelle. Les trois instruments passent par tous les stades du désespoir jusqu’à cette fin, cette FIN bouleversante, belle, fascinante ! Prenez une mélodie, un violon, essayez d’épeler le mot « détresse » avec des notes : vous tiendrez la coda du « Moderato ».

Pour dissiper ces tristes brumes, rien de tel qu’un petit bon en arrière deux siècles. Sur l’« Allegro con brio », CHOSTAKOVITCH coiffe sa perruque frisée et livre une partition classique qui n’est pas sans rappeler le Quintette avec piano de 1940. Et soudain : DONG ! Le piano ouvre le « Lento » sur une note forte et grave, un « Lento » dénué de fioriture, l’une des plus belles pièces de toute l’œuvre de CHOSTAKOVITCH, ce qui n’est pas peu dire. Le violon rivalise de tristesse avec le violoncelle : les deux instruments s’échangent le même thème et se le renvoient chaque fois plus sombre.

L' « Allegretto », dernier mouvement du Second Trio, s’ouvre sur un étrange et doux passage pizzicato au violon. C’est ensuite au tour du piano de se démarquer en introduisant un thème fort et mystérieux, une sorte de danse macabre tout à la fois malsaine et réjouissante qui sera réutilisée pour le Quatuor à cordes n°8. Le thème disparaît, réapparaît, avec une distribution originale des rôles : les cordes font office de percussion ; le piano assume seul la mélodie. Le tragique qui étreint l’ensemble du Trio se dissipe dans une conclusion vaporeuse, où les notes hachées du piano cèdent le pas au murmure du violon.

Parmi les nombreuses interprétations du Trio n°2, il est assez difficile d’en distinguer une en particulier. Celle d’Isaac STERN, Yo-Yo MA et Emanuel AX a le mérite d’être excellente de bout en bout ; cela dit, c’est une œuvre dont les enregistrements sont rarement ratés. La difficulté est plus expressive que technique, comme souvent chez CHOSTAKOVITCH. Et si vous avez l’occasion un jour d’écouter l’œuvre en concert, ne faites pas l’erreur de rater le coche !

Fiche « Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 » :
Opus : 67
Date de composition : 1944
Date de création : 1944 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1987 par Isaac Stern, Yo-Yo Ma et Emanuel Ax
Références du disque : Chostakovitch, Trio n°2, Sony, collection grand répertoire, 2002.