On ne le dira jamais assez, les deux Suites pour orchestre de jazz de CHOSTAKOVITCH ne sont absolument pas du jazz. Mais alors pas du tout ! En fait, à l’époque où le compositeur soviétique se fait un devoir d’enrichir le répertoire de l’Orchestre national de jazz, entre 1934 et 1938, le jazz, en URSS, n’est encore qu’une catégorie fourre-tout pour désigner toute musique populaire inspirée de près ou de loin par l’Occident, en particulier par les Etats-Unis. Ces deux suites ne font que reprendre les codes de la musique populaire de l’époque, entre emprunts au folklore russe et influences étrangères. Quelques soixante années plus tard, le titre trompeur de ces deux œuvres fait toujours illusion : Decca a essayé de rassemblé ces deux suites, la réorchestration de « Tea for Two » et le Premier Concerto pour piano sur une compilation au titre absurde (mais vendeur) : The Jazz Album.

C’est de la Première de ces deux suites dont il est question ici. Composée en 1934, elle n’est guère plus qu’une ébauche. On retrouvera d’ailleurs les thèmes de la « Valse » et la « Polka » sur la Première suite pour orchestre de variété, de manière beaucoup plus aboutie. La musique est entêtante, sautillante, légère, ce qui est d’autant plus étonnant qu’à l’époque, les ennuis commencent à s’accumuler pour le compositeur. Dès le début des années 1930 le régime soviétique conduit par Staline reprend en main la vie culturelle, jugée trop libre, pour l’inféoder à la ligne du Parti.

Témoin de l’admiration de CHOSTAKOVITCH pour la musique populaire de son époque, la Première Suite pour orchestre de Jazz semble évoquer l’insouciance des années vingt, l’insouciance de ceux qui n’avaient pas encore compris. L’humour chostakovien pas encore tout à fait dompté, s’affiche lors de la « Polka ». Les percussions exécutent une petite danse légère, soutenue par les sursauts du trompettiste.

Le troisième et dernier morceau est plus intéressant, plus abouti. Le simple fait de composer un « Foxtrot » dans l’URSS des années 30, où tout lien avec l’étranger est suspect, aurait pu passer pour une provocation. La trompette de Peter MASSEURS a le beau rôle : elle livre une mélodie simple mais entêtante, parfois langoureuse, parfois conquérante. On même le droit à quelques surprises de la part des cordes. Un violon joué pizzicato semble annoncer le règne de la guitare sur la musique populaire. Et ce sont ces mêmes cordes qui, un peu avant la conclusion, distillent quelques notes de tristesse dans cet assemblage bien artificiel de danses enjouées.

Deux ébauches, un morceau intéressant, le tout sur une dizaine de minutes, pas de quoi crier au génie ! La Première Suite pour orchestre est une œuvre de circonstance comme CHOSTAKOVITCH en a composé beaucoup, et elle ne doit sa postérité qu’à sa parenté lointaine avec la Première suite pour orchestre de variété, que l’on a longtemps confondue avec la Seconde suite pour orchestre de jazz. Dans les années 30, CHOSTAKOVITCH a fait mille fois mieux à plusieurs occasions !

Fiche « Première Suite pour orchestre de Jazz » :
Opus : 38a
Date de composition : 1934
Date de création : 1934 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1991 par Riccardo Chailly et le Royal Concertgebouw Orchestra
Références du disque : The Jazz Album, 1992, Decca.