CHOSTAKOVITCH, tout au long de sa carrière, a avalé bien des couleuvres. On l’a forcé à se renier en public, à composer des œuvres de propagande insipides, à faire le beau durant les cérémonies et les voyages officiels, et même à adhérer au Parti ! Mais tout homme a ses limites. Pour CHOSTAKOVITCH, la limite, c’est l’antisémitisme. Même après sa condamnation de 1948, en pleine renaissance de la haine contre les Juifs en URSS, jamais le compositeur n’a transigé avec le racisme. Au contraire, quand il a vu les persécutions rependre contre ceux que l’on appelait les « cosmopolites », les « non-russes », il a très vite intégré des éléments du folklore juif à sa musique.

Réaction instinctive ou opposition mûrie de la part du compositeur, c’est difficile à savoir. Il ne se faisait sans doute pas beaucoup d’illusions sur la possibilité de faire jouer des Chansons juives dans l’URSS d’après-guerre. S’identifier avec les victimes du pouvoir était une chose naturelle pour celui qui venait de passer sous le rouleau compresseur du régime pour la seconde fois. Toujours est-il qu’au moment même où CHOSTAKOVITCH déniche un recueil de chansons juives dans une librairie, un nouveau projet de cycle vocal est né.

Les onze chansons choisies ont une teinte plutôt sombre, à l’exception des trois dernières, composées séparément. C’est principalement le chant qui véhicule le folklore juif ; l’accompagnement au piano, lui, est de facture plus classique. Onomatopées, cris de désespoir, notes tenues : les Chansons juives rompent avec le style « sage » des cycles précédents. Certaines mélodies sont tout simplement envoûtantes, à l’image de « La mère et la tante soucieuses » et de son phrasé tournoyant. « L’Hiver », qui conclut la première série de chansons, est sans doute le plus beau passage du cycle. Les trois chanteurs à l’unisson tissent une atmosphère pleine de torpeur, soutenus par un piano joué très grave.

Malgré l’originalité des parties chantées, ce cycle de chansons juives n’égale pas les meilleures œuvres vocales du compositeur soviétique. La rigidité de l’accompagnement au piano dessert la plupart du temps la verve folklorique des chansons. Il n’y a guère que sur « La Berceuse de la misère » que le piano refuse d’être réduit à un simple accompagnement. Les trois dernières chansons rappellent l’enthousiasme forcé des musiques de film de CHOSTAKOVITCH, ce qui n’est pas la meilleure des références.

Le Cycle de chansons juives, un peu comme la Symphonie n°13, est le type d’œuvres qui suscite plus de l’admiration pour l’homme que pour le musicien C’est un cycle de qualité, pas de doute là-dessus, mais qui reste quand même en deçà des morceaux composés à partir de la poésie de Blok, Tsvetaïeva et Michel-Ange. Reste ce coup de folie inexplicable : écrire sur des thèmes juifs à une époque où tout le monde comprend que l’antisémitisme est la nouvelle marotte de Staline.

Fiche « Extraits de la poésie populaire juive » :
Opus : 79
Date de composition : 1948
Date de création : 1955 à Leningrad
Date d’enregistrement : 1995 par Svetlana Soumatchova, Marianna Tarassova, Konstantin Ploujnikov et Youri Serov.
Références du disque : Shostakovich – Complete Songs, Volume Five (1948-1974), Famous Vocal Cycles, Delos, 2005.