Après Krylov, c’est un autre passage obligé de l’intellectuel russe que CHOSTAKOVITCH aborde avec ses Quatre Romances sur des poèmes d’Alexandre Pouchkine. Encore sous le coup de la critique de son opéra dans la Pravda et des menaces qui vont de pair, le compositeur choisit de mettre en musique quelques poèmes de Pouchkine à l’occasion du centenaire de la mort du poète. Des huit prévus à l’époque, il n’en compose que quatre, sans doute à cause de l’énorme travail qu’exige la Symphonie n°5.

Refuge de l’artiste persécuté, référence à la grande culture russe, modèle d’action, Pouchkine est tout cela à la fois pour CHOSTAKOVITCH : les textes choisis en témoignent. Le poème « Renaissance », en particulier, rappelle les épreuves du musicien :

« Le pinceau indolent d’un peintre barbare
Noircit le tableau du génie
Et son propre dessin criminel et ignare
Par dessus la vieille œuvre s’inscrit

Mais avec le temps, voici les couleurs fausses
Qui s’écaillent et se délabrent
L’œuvre du génie se révèle
Ensemble avec la beauté originelle »

Et on enfonce le clou sur « Pressentiment » :

« De nouveau, silencieusement,
Les nuages viennent à moi
Et de nouveau le sort jaloux
M’inquiète de ses malheurs »

Au service de ces allusions à peine masquées, CHOSTAKOVITCH reprend le piano simple des Six Romances sur des textes de poètes japonais. Mais cette fois, les atmosphères sont variées, et le piano ne se refuse pas à quelques éclats (« Stances »). La proximité de la menace n’empêche pas la légèreté, comme sur « La Jeune Fille jalouse », avec son motif espiègle et lancinant. Mikhaïl Loukonine livre une interprétation éclatante de ces textes difficiles, qui culmine sur les « Stances » où le baryton déploie des trésors de variations rythmiques.

Lentement, surement, CHOSTAKOVITCH bâtit le style de ses styles vocaux d’après-guerre. Si les Quatre Romances constituent un ensemble encore trop court pour se ranger au côté des classiques du maître, son écoute est un témoignage intéressant de la rencontre d’un grand musicien et d’un grand écrivain.

Fiche « Quatre Romances sur des poèmes d’Alexandre Pouchkine» :
Opus : 46
Date de composition : 1936-1937
Date de création : 1940 à Moscou
Date d’enregistrement : 2001 par Mikhaïl Loukonine et Youri Serov
Références du disque : Shostakovich – Complet Songs Volume Three, Early Works (1922-1942), Delos, 2003.