Un évènement comme la Révolution bolchévique d’Octobre 1917 ne pouvait pas laisser la musique russe indemne, les artistes étant, comme tout à chacun, emportés dans la conflagration générale (ou sur un paquebot à destination de l’Amérique, pour les plus perspicaces). Le zèle propagandiste des bolchéviques, qui s’affirme dès les débuts de la guerre civile, devait marquer durablement la vie musicale russe, et plus largement, soviétique.
Contrairement à un PROKOFIEV ou à un STRAVINSKI, qui ont plus ou moins connu le succès avant la Révolution d’octobre, Dimitri CHOSTAKOVITCH, fils d’une famille modeste de Leningrad et élève au conservatoire de la ville, va effectuer toute sa carrière musicale sous le régime soviétique.

Les débuts précoces du compositeur restent assez éloignés des fanfaronnades patriotiques de la « musique du peuple ». Songez donc qu’à 19 ans, en 1925, celui qui est appelé à devenir l’un des plus célèbres musiciens soviétiques compose sa Première Symphonie, dans le cadre d’un examen au conservatoire. Premier essai, mais aussi premier coup de maître : l’œuvre rencontre un succès immédiat dans l’ex-capitale impériale, ainsi qu’à Moscou.
Jeunesse oblige, l’influence des aînés pèse encore de tout son poids. L’empreinte de PROKOFIEV reste la plus évidente, malgré la relative nouveauté de la notoriété du natif de Sontsovka. Le premier mouvement de l’œuvre est là pour en témoigner : le ton espiègle rappelle avec force le style russe de PROKOFIEV. Au-delà de l’héritage des classiques et romantiques russes, bien naturel chez un élève du conservatoire, les premiers pas symphoniques de CHOSTAKOVITCH font écho à STRAVINSKI, notamment dans l’utilisation peu courante du piano (« Allegro »).

Bien entendu, le génie du tout jeune compositeur s’affirme dans des passages qui lui sont tout à fait propres, témoins d’un style en formation. Si l’outrance grotesque n’est pas encore au rendez-vous, CHOSTAKOVITCH ne néglige pas quelques effets humoristiques, comme les dissonances du piano (« Allegro ») et l’alternance explosion des cuivres/thème dansant qui sert de fil conducteur au premier mouvement. On relèvera en plus le goût du compositeur pour la vitesse, son penchant pour les montées vertigineuses et les conclusions grandioses. Malgré le refus du jeune musicien d’appliquer les quelques conseils de son maître Alexandre GLAZOUNOV, la patte du dernier des classiques russes se ressent dans l’atmosphère lyrique du « Lento » et dans le rôle primordial donné aux vents dans l’exposition des thèmes.

Tous ces éléments combinés font une très bonne symphonie, succès précoce qui ne sera pas confirmé avant la Cinquième Symphonie, alimentant, au cours des années 1930, l’image d’un CHOSTAKOVITCH qui gâche sont talent. L’interprétation à la fois énergique et fidèle de KONDRACHINE rend tout à fait justice à ce coup de génie précoce, première pierre d’une œuvre impressionnante qui s’étire sur près d’un demi-siècle.


Fiche « Symphonie n°1 »
Opus : 10
Date de composition : 1923-1925
Date de création : 1926
Date d’enregistrement : 1972 par Kyrill Kondrachine et l’Orchestre Philharmonique de Moscou
Références du disque : Intégrale des symphonies par Kyrill Kondrachine, Disque 1, Symphonies n°1, 2 & 3, Melodiya, 2006.