Frank Zappa est un peu le paic citron du rock : « quand y en a plus, y en a encore ». Les Mothers of invention ont accumulé tellement d’enregistrements entre 1967 et 1969 que cinq albums officiels n’ont pas suffit à y exposer toutes leurs facettes. Qu’à cela ne tienne ! Même si son groupe est dissout depuis un an, Zappa va exhumer les bandes restées inédites et publier deux albums des mamans à titre posthume : « Burnt Weeny Sandwich » qui nous occupe ici, puis « Weasels ripped my flesh » quelques mois plus tard. Zappa inaugure une démarche qui trouvera son accomplissement avec « Sheik Yerbouti » : remixer et remonter des sources diverses pour reconstituer un album à part entière.

S’il on excepte les deux chansons de doo wop qui ouvrent et ferment l’album, le disque est entièrement instrumental et utilise des prises live et des rush d’« Uncle Meat », dont il reste ici et là quelques empruntes perceptibles (clavecin, percussions). L’absence de paroles met sous silence l’aspect satirique et le disque se focalise plutôt sur la facette jazz du groupe.
Ce qui n’aurait dû être qu’un fourre tout de seconde main, bancale et décousu, s’avère être un disque cohérent et plutôt riche musicalement. Ce faux « Uncle Meat 2 » tire son épingle du jeu en proposant une trame savamment équilibrée, entre écriture et improvisation, jazz et contemporain, live et studio. Outre l’emploi intensif de l’overdub et la présence surprenante d’un synthétiseur, « Burnt weeny sandwich » livre un discours serein et véhicule une certaine insouciance, (« Theme from Burnt weeny sandwich »), parfois drôle et touchante (le saxophone désaccordé sur « Overture to a holiday in Berlin »).
Un petit coffre où Zappa a pris soin de ne pas déposer ses trésors les plus arides ; une candeur étonnante quand on connaît le bonhomme. L’unité de l’album est assurée par l’éclatement de la plupart des titres en deux parties (« Igor’s Boogie », « Holyday in Berlin » et les deux chansons de doo wop) ; un jeu d’interludes et de reprises qui rassurera l’auditeur.

« Burnt weeny sandwich » vaut aussi pour sa pièce montée « Little house I used to live in », longue suite mutante reconstruite à partir d’archives hétéroclites. Zappa recrée ici un morceau à partir de fragments étrangers les uns aux autres, un peu à la manière du Dr Henry Frankenstein, et hausse l’art du recyclage au rang d’authentique technique créatrice. Ce morceau n’a jamais été composé initialement et ne prend vie que par la magie d’un assemblage postérieur. On peut également y apprécier les prestations pianistiques de Ian Underwood, mis à l’honneur aussi bien pour ses improvisations que pour sa sensibilité classique (l’introduction de « Little.. »).
Un très bon disque, bien que secondaire. Indispensable pour les aficionados de la première période des mamans, et indissociable du suivant.