C’est un virage drastique qu’opère Frank Zappa en 1973. Le jazz-rock instrumental de « Waka Jawaka » et du « Grand Wazoo » laisse place à une musique plus immédiate et moins intellectualisée. Cet album marque la troisième incarnation des Mothers Of Invention pour laquelle Zappa s’entoure de musiciens noirs et plonge dans le funk avec délectation : une mouture des mamans qui restera pour beaucoup comme la meilleure et au sein de laquelle, quelques piliers occupent désormais un rôle essentiel : Ruth Underwood, George Duke et Napoleon Murphy Brock.

« Overnite sensation » ouvre la période la plus prolifique du compositeur (sept albums enregistrés en trois ans). Zappa s’y applique à créer une musique riche, farouchement accessible, chaleureuse et limpide, mais conservant l’exigence des grands disques qui lui ont précédé. Ce retour au format chanson réconciliera le moustachu avec la frange rock de son auditoire, peu concernée par le jazz cérébral de l’année 1972. Cette nouvelle ère se détournera de la critique sociale et de l’humour potache pour installer un univers coloré, marqué par les fables loufoques, les fresques délirantes et une galerie de personnages haut en couleur.

« Overnite sensation », première pièce d’une tétralogie sans fautes, s’affirme de loin comme la plus funk. Les titres coulent de source et marient remarquablement virtuosité et chaleur (comment résister au riff de « 50-50 » et au très suggestif « Dinah moe hum » ?). Basses rondes, toms feutrés, cuivres moelleux et chœurs féminins ; une musique sensuelle, fiévreuse et racée, pied de nez savoureux à la vague britannique alors empêtrée dans ses carcans symphoniques. Un disque typique d’une époque aussi, dont l’épaisse patine seventies qui le recouvre ne fait qu'en renforcer la préciosité. Une pochette millésimée enfin, à la richesse foisonnante ; un gigantisme graphique que l’on retrouvera sur « One size fits all » en 1975, quatrième et dernière pièce du carré magique.
Bien que moins célèbre que son petit frère « Apostrophe’ », je confesse ma légère préférence pour cette « sensation d’une nuit », sans doute en raison des quatre minutes de plaisir supplémentaires qu’il procure. Notons enfin que les deux albums ont été réunis sur certaines versions CD.