Un long silence discographique sépare « Zoot allures » de « Joe’s garage ». Si les obligations contractuelles tiennent Zappa éloigné des studios et ralentissent sa production, elles ne le contraignent pas à l’inactivité. Tandis que Warner écoule tranquillement les volumes de « Läther », Frankie accumule les chansons et met sur pied une énième formation. Ce nouveau répertoire sera joué et enregistré sur scène en 1977 et 1978.

« Sheik Yerbouti » reprend le fil de « Zoot allures » avec un rock direct et satirique. De nouvelles musiques apparaissent pour être parodiées ; la disco (Dancing fool) très en vogue et dont il moque moins la qualité que le succès. Le tango (Sheik Yerbouti) juste parce qu’il smells funny, et le punk (I’m so cute) parce que tout le monde doit y passer. Le son a considérablement évolué. « Sheik Yerbouti » inaugure ces claviers eighties pas toujours très heureux qui gangrèneront ses albums jusqu’en 1984. Il montre aussi un travail vocal remarquable et presque prédominant sur la musique. Cette mise en valeur des voix (dix choristes) permet d’amplifier la force humoristique des chansons, ici primordiale. Là encore les productions ultérieures approfondiront cet aspect – très positif pour le coup (« Joe’s Garage » et « You are what you is »). Le groupe est largement renouvelé même s’il conserve le socle Bozzio/O’Hearn. Il marque les débuts d’un certain Adrian Belew (futur King Crimson) au chant et à la guitare rythmique, et parfait imitateur de Bob Dylan (Flakes).
« Shake Your Booty » (remue ton cul) ouvre la période la plus virulente de Frank Zappa. Il renoue avec la critique sociale féroce de « We’re only in it for the money » et pousse le bouchon loin, très loin. La superficialité américaine est passée au peigne fin et fusillée sur place. Les mœurs, la religion, l’argent, la musique, le tout enrobé de sexe pour le plus grand plaisir de tous. Une orientation qui lui vaudra d’être la cible de nombreuses associations et l’amènera devant la justice.
Le célèbre double album donne le ton des productions survitaminées qui caractériseront cette période (« Tinsell town Rebellion » et « You are what you is »). Il retravaille considérablement des bandes live au point d’en devenir presque un album studio. Les titres sont tous overdubés et enchaînés par diverses techniques. Le point culminant de ce travail est « Rubber shirt », fabriqué à partir de deux sources (une basse et une batterie) enregistrées à des dates et des lieux différents.

« Sheik Yerbouti » est le premier Zappa à sortir chez CBS et ferme enfin la douloureuse page Warner. Par sa musique accrocheuse, sa promotion efficace et sa pochette marquante, il reste la plus grosse vente du barbichu. Alors que le grand public découvre ce rockeur fou sous les traits d’un Emir vicelard, les fans commencent à s’inquiéter de la dérive commerciale de leur chouchou. Tout ceci est parfaitement orchestré et participe – une fois de plus – d’une vaste continuité conceptuelle. « Sheik Yerbouti » est un concentré d’impertinence et de provocation décapante. Zappa ne respecte rien ni personne, et c’est pour ça qu’on l’aime.