Troisième album à sortir sous le nom de Frank Zappa, « Chunga’s revenge » ouvre le deuxième chapitre des Mothers of invention. Le personnel a fait l’objet d’un renouvellement profond ; si certaines pointures restent fidèles au guitariste tels Jean Luc Ponty, Ian Underwood et Sugar Cane Harris (la plupart des requins présents sur « Hot Rats »), de nouveaux arrivants se chargeront d’achever la métamorphose du groupe. Zappa confie le micro à Mark Volman et Howard Kaylan, alias Eddie & flo, deux ex-membres du groupe pop des années soixante The Turtles, rendu célèbre pour son tube « Happy Together », et recrutés pour leur capacités vocales et leur présence scénique, souvent envahissante par ailleurs. Mais les vraies recrues de choix s’appellent George Duke (claviers) et Ansley dunbar (batterie). Deux musiciens d’exception sur lesquels Zappa pourra compter sur la durée et qui deviendront avec d’autres, des piliers de sa (ses) formation(s).
Ce groupe éparpillé, à la personnalité encore flou, ne portera l’étiquette « Mothers of invention » qu’à partir du disque suivant. A formation composite, disque composite, mais malgré ce chassé-croisé des musiciens, « Chunga’s revenge » parvient à maintenir une ligne cohérente et propose un blues rock électrique, fiévreux à souhait, parasité par quelques passages jazzy, tour à tour classieux (« Twenty small cigars » échappé des sessions de « Hot rats ») ou free (« The Nancy and Mary music »). La musique s’articule autour de la guitare, de l’orgue, du fender rhodes et du violon électrique. Elle perd ses prétentions progressives et expérimentales, et plus surprenant, une bonne part de son humour, facette qui reviendra en force avec l'album live « Fillmore East ». « Chunga’s revenge » se veut un disque simple, ancré dans la tradition blues, avec tout ce qu’il faut d’électricité et d’énergie pour le rendre puissant et excitant. Ce choix, qui décevra ceux qui attendent de Zappa une révolution musicale permanente, laissera néanmoins le champ libre aux musiciens et donnera lieu à quelques envolées héroïques. Les allergiques aux soli marathons ne perdront rien à passer leur chemin, les amateurs du genre y trouveront à coup sûr leur contentement.
Parmi les moments les plus originaux de la galette rouge, on retiendra « The Clap », où Zappa se souvient de son premier instrument et s’essaie à une petite polyrythmie ludique, et la balade veloutée « Sharleena » qui ferme l’album et reste la plus belle page d'un recueil certes authentique, mais assez peu original et surtout moins consistant qu’à l’accoutumée.
Loin d’être le somnifère que laisse craindre sa pochette, la vengeance de Chunga reste une pièce honnête à replacer dans le gigantesque puzzle zappien. Vivement recommandée à ceux que Jimi Hendrix et Led Zeppelin ne laissent pas insensibles.