Dernier album studio de la période 'Rothienne' (qui s’achèvera lors de la tournée suivante, immortalisée par l’anthologique live Tokyo tapes), Taken By force en est le point culminant. Malgré les dissentions stylistiques (et affinitaires n’en doutons pas), SCORPIONS sait se concentrer sur ses forces pour accoucher de son chef-d’oeuvre, l’album qui éclaire le mieux les facettes et talents de ce groupe unique.
Uli John Roth compose trois superbes morceaux pour l’album. "I’ve Got to Be Free" au texte on ne peut plus explicite, est nourri de feeling hendrixien si cher au guitariste allemand, avec un riff légèrement funk et une structure bondissante mettant en valeur son jeu remarquable. "Your time" est gorgée de funk et de soul, avec une rythmique de Uli à tomber par terre et un groove de basse du meilleur effet. Je suis bluffé par la performance de Klaus sur un tel titre qui montre qu’il aurait brillé dans tous les registres. Quant à "The Sail of Charon", c’est un peu le titre ultime de Uli : un riff à tiroirs, une rythmique funk, et une étourdissante ligne de lead, véritable concentré de son immense talent. Nombre de guitar heroes, dont Yngwie Malmsteen, ne s’y sont pas trompés en plaçant cette pièce parmi les sommets de leur panthéon guitaristique personnel.
Klaus Meine et Rudolf Schenker ne sont pas en reste, et tracent dans cet album l’essentiel de la voie qu’ils suivront désormais pour emmener le groupe au sommet. Un titre lourd et plein de maîtrise, "Steamrock Fever" qui proclame l’avènement du 'heavy', une fantastique power ballad "We’ll Burn the Sky" servie par le chant prodigieux de Klaus et les coups de boutoir rythmiques de Rudolf, et une ballade du meilleur effet, "Born to Touch Your Feelings" dont la fin est magique et universelle avec ces voix de femmes qui s’entrecroisent dans toutes les langues. "The Riot of Your Time" est une pièce plus aventureuse et intrigante au refrain splendide qui incarne une facette plus expérimentale qui se manifestera de temps en temps au fil des années qui suivront, alors que "Suspender Love" est une chanson bonus très réussie qui mérite pleinement sa place sur l’album.
Reste le morceau de la discorde, composée par le batteur impétrant Hermann Rarebell, "He’s a Woman She’s a Man", précurseur de toutes les speederies à venir, et incarnant clairement à tous niveaux la voie que Uli ne souhaitait pas suivre. Ce titre est pourtant une belle tuerie, Klaus gère parfaitement l’agressivité et l’ironie du texte alors que Rudolf s’éclate en rythmique et que Hermann tabasse ses fûts avec lourdeur.
Un tel assemblage disparate, miraculeusement sublimé dans cet enregistrement, n’était clairement pas viable dans la durée ; l’histoire a tranché mais n’a pas lavé tous les regrets d’une période bénie où l’inspiration, le talent et l’entente de trois immenses musiciens ont permis la naissance d’une œuvre aussi aboutie que ce fantastique Taken By Force.