Que le Projekct Four a l'air succulent ! Quatrième sous-partie de KING CRIMSON, ce mini-groupe est en fait une extension du Projekct Three, composé de Robert Fripp, Trey Gunn et Pat Mastelotto. La différence essentielle tient en quatre cordes et s'appelle Tony Levin. En effet, après un Projekct One de toute beauté, voilà que le célèbre manipulateur de Chapman Stick revient poser son instrument sur scène. À travers Masque, le Projekct Three n'était pas si loin du chef-d'oeuvre, en est-il autrement avec une force supplémentaire ?

On en est encore plus proche. West Coast Live (nom lié au fait que le groupe a tourné en Californie) est pour ainsi dire le meilleur des Projekcts. Comme d'habitude, le cahier des charges des Projekcts est bien rempli (technique ultime, improvisations à foison...), mais en plus, le talent ouvre ici vers un nouveau prétexte à s'ébaubir devant la musique. West Coast Live peut même s'enorgueillir d'être le sommet des Projekcts, la meilleure porte vers ce que KING CRIMSON aurait pu être, à savoir un groupe de metal progressif électronique innovant et original – on connaît malheureusement la suite.

À travers les deux parties de Ghost, le Projekct Four déploie une énergie et une fureur sonore inégalables. Si certains morceaux sont annoncés par des plages dark ambient subtilement dérangeantes (la 1ère sous-partie de la partie 1 de "Ghost"), ce n'est que pour mieux annoncer une rage grimpante comme du lierre, un rock nerveux et fort de café. Rien à voir donc avec par exemple le Projekct One qui, par l'usage plus acoustique des instruments, se faisait incisif tout en étant moins brutal. Mais le plus incroyable, c'est qu'aussi violent et technique soit West Coast Live, il est avant tout accessible. Peut-être qu'à force d'écouter les précédents Projekcts, il y a une accoutumance qui se crée, mais force est de constater qu'il s'écoute avec une certaine aisance, en mode « l'impro metal/prog pour les nuls » ou presque.

La quasi-perfection a un coût, cependant. D'aucuns accuseront facilement le groupe, et en particulier Pat Mastelotto, d'avoir quelque peu réarrangé et remixé les pistes de West Coast Live, dénaturant ainsi l'audio initiale. Mais c'est faire un mauvais procès contre les méthodes employées par le Projekct Four qui retravaille, malaxe, torture sa propre oeuvre – et rappelons-nous THRaKaTTaK. Et quand bien même, le résultat étant un disque, ce n'est pas un drame, qui plus est quand il est aussi bon.

Avec West Coast Live, le Projekct Four ferme la première période d'existence des Projekcts. Il peut être considéré comme l'apothéose d'une série avec ses hauts (Masque) et ses bas (Space Groove), mais qui rassemble en gros le meilleur des membres de KING CRIMSON lorsqu'ils étaient lâchés sur scène avec les dernières technologies alors mises à disposition. C'était dur, c'était violent, mais c'était surtout beau à entendre.