Pourrais-je choquer les fans de rock progressif en affirmant que Red est l'un des tout meilleurs albums du genre depuis que ce dernier existe ? Clairement pas. C'est même une opinion on ne peut plus conformiste que d'affirmer que le 7e album studio de KING CRIMSON est un incontournable du genre. Quant à devoir l'aimer comme certains fans l'affirment... n'allons pas aussi loin : quand bien même je pense, personnellement, qu'il s'agit du meilleur album de musique de tous les temps, il s'agit d'un disque âpre, dur, exigeant, qui n'est pas tellement fait pour être aimé du premier coup.

Red, donc, est un album majeur, mais aussi la conclusion du dernier chapitre de la période Wetton, qui a vu Fripp et ses camarades parcourir l'Amérique durant le 2e trimestre 1974 avant de se poser à la maison pour parachever leur opus major. C'est cette période que propose d'examiner The Road to Red, le 3e coffret de KING CRIMSON, sorti en octobre 2013 – soit un mois après la reformation du groupe, pour situer la chose.

Côté contenu, on ne peut pas dire qu'on ne peut pas se faire plaisir. The Road to Red est un coffret encore plus costaud que Larks' Tongues in Aspic (2012), puisqu'il emmagasine encore plus de concerts. 16, pour être précis, sur 20 CD. Ça en fait du monde, pas vrai ? Encore qu'il faut légèrement relativiser : les CD 15 et 16 proposent exactement le même concert, celui donné à Asbury Park et qui a débouché sur le live USA (1975), mais il s'agit de deux mixes différents – et à choisir, le CD 15, mix de 2013, est préférable. Toujours côté histoire, The Road to Red propose également le live à Central Park enregistré le 1er juillet 1974, un concert fort en émotion et en histoire puisqu'il s'agit de l'ultime live de la période Wetton. Bref, même si les coffrets de KING CRIMSON coûtent un bras, on en a pour son argent rien que sur le quantitatif.

Pour la qualité sonore, le prix se justifie aussi et pas qu'un peu. Les lives de The Road to Red ont été pour la plupart captés directement depuis la table de mixage, d'où une qualité sonore sinon irréprochable, au moins exceptionnelle. Cette fois, même les improvisations sonnent bien, offrant ainsi la pleine puissance d'un quatuor toujours aussi déchaîné malgré l'absence de Jamie Muir (on en reparle dans la chronique du coffret Starless). Cependant, dans le cas particulier de cette période, on savait déjà tout ça. En effet, une partie des concerts ici présents, y compris l'intégralité du live à Providence d'où est tiré le morceau figurant sur Red, a été publiée en 1992, sur le coffret référentiel The Great Deceiver ! Du coup, se pose inévitablement la question de la pertinence de The Road to Red. Pour les fans hardcore, ce n'est pas grave, et puis il y a d'autres lives complètement inédits. Pour les fans plus modérés et les autres, par contre... autant Larks' Tongues in Aspic arborait un intérêt certain, notamment au niveau musicologique, autant ici, même l'argument des improvisations, par ailleurs plus carrées et plus courtes, devient faible. Du coup, claquer près de 150 € pour entendre 12 variations de "Starless", on peut comprendre que tout le monde n'est pas chaud pour. De plus, il n'y a pas de réelle plus-value côté DVD/Blu-Ray, puisque ces derniers (1 DVD + 2 Blu-Rays) se contentent de rassembler quelques-uns des lives déjà présents en version CD. Bon, okay, il y a bien Red en version 5.1 dans son mix nouveau, et après ?

Du coup, et malgré la profusion de morceaux superbement bien interprétés (le concert à Houston sur le CD 4 !) et des impros toujours aussi maîtrisées, j'aurais volontiers du mal à recommander The Road to Red à d'autres personnes qu'aux fans hardcore. The Great Deceiver (le coffret) existe déjà, et même si l'on n'a pas peur de mettre la main au portefeuille, Starless lui sera clairement supérieur. Dans l'absolu, il mérite clairement la note maximale ou pas loin, mais dans les faits, difficile de lui donner plus que 3/5.