La période 80's de KING CRIMSON est sans doute l'une des plus excitantes et originales de l'histoire du rock progressif. On en aura connu, des pontes du genre qui ont passé l'annus horribilis (1978, pour rappel) et ont tenu à survivre avec plus ou moins de succès commercial, quitte à brader leurs qualités artistiques. Mais combien ont dû être surpris voire choqués quand la presse musicale a annoncé en 1981 le retour de KING CRIMSON ? Qui plus est, le père fondateur revient sans faire de concession au passé, et se met totalement en phase avec son époque. Fini le prog à papa, bonjour l'art rock d'ascendance TALKING HEADS. Une décision radicale, peut-être motivée par l'argent ou la gloire, mais qui a le mérite de fuir la répétition et l'ennui.

C'est cette période que nous propose de retrouver On (and off) the Road (1981-1984). Sorti en 2016, ce coffret couvre tout ce qu'a fait KING CRIMSON durant les années 80 – ou presque. On retrouve donc, contrairement aux coffrets précédents, 3 albums et pas des moindres : Discipline (un album adoré même par les anti-GENESIS), Beat (une suite inégale mais intéressante) et Three of a Perfect Pair (une synthèse schizophrénique), le tout accompagné de bonus et de live. Il est d'ailleurs intéressant de constater que le coffret fait assez synthétique, avec bien moins de concerts présents ici. C'est même logique, le KING CRIMSON des eighties étant avare en improvisations sur scène – mais disons que ce n'était pas l'objectif du groupe.

Chaque album présent bénéficie d'un son plus qu'acceptable (c'est même très bon), avec son petit lot de bonus. Un « très petit » serait même de rigueur en ce qui concerne Discipline (1981), puisqu'on se retrouve avec seulement des versions alternatives de "The Sheltering Sky" et "Thela Hun Ginjeet" plus des boucles vocales ayant servi pour "Frame by Frame". Beat (1982) s'en sort mieux et pire à la fois : "Requiem" est présent dans une version 2 fois plus longue, mais le seul bonus "Absent Lovers" en est un vrai. C'est un instrumental dynamique et véloce, un peu répétitif mais qui s'aère avec un passage central aux Frippertronics accompagné d'une base rock assez chill dans l'esprit ; pour les connaisseurs, on n'est pas loin des escapades en solo de Fripp au début de la décennie. Si "Absent Lovers" avait été intégré à Beat en lieu et place de "Requiem" à sa sortie initiale, la moyenne aurait été relevée. Évidemment, les fans savent que c'est Three of a Perfect Pair (1984) qui tire le gros lot, ne serait-ce que parce que les bonus présents ici avaient déjà été édités en 2001. La suite "Industrial", séparée en 3 « zones », est un véritable prolongement de la face B de l'album, creusant ainsi la veine expérimentale de KING CRIMSON. Les moins habitués auront "Robert's Ballad" et "Shidare Zakura", deux pièces guitaristiques simples mais efficaces, sous la dent.

Pour de l'inédit, du vrai, il faut se tourner vers le CD 5. Intercalé judicieusement entre Beat et TOAPP, il contient les pistes lancées par KING CRIMSON pour un hypothétique nouvel album en 1983 qui n'a jamais vu le jour en définitive. Mais ce disque, les fans le connaissent déjà, c'est The Champaign-Urbana Sessions, déjà édité en 2002. Et d'ailleurs, plutôt que de proposer au CD 9 un montage des différents morceaux des albums studio, pourquoi ne pas avoir mis Rehearsals and Blows, sorti au début de l'année 2016 ?

Autre plus-value intéressante, la partie live. Elle est a priori restreinte à un concert lié à chaque album, sauf si l'on inclut les deux concerts bonus, l'un étant la version audio du concert filmé à Fréjus (on en parle plus bas) et surtout, le tout premier concert de KING CRIMSON, capté au Moles Club le 30 avril 1981. La qualité sonore n'est évidemment pas terrible, mais reste bonne pour un bootleg et sa valeur historique pardonne à moitié. Et tout aussi évident, Absent Lovers, déjà édité en 1998, vient pointer en position de meilleur live issu des années 80. Mais il est dommage qu'il soit le seul sur CD.

Pas de souci, la partie vidéo vient contrebalancer tout cela. On (and off) the Road, c'est un rappel que le KING CRIMSON des années 80 était un groupe dynamique et génial à voir sur scène, la faute à Adrian Belew. Le chanteur-guitariste était une pile électrique, voire une centrale nucléaire, débordant d'énergie et assurant le show de A à Z (en même temps, quand on a joué pour ZAPPA, BOWIE et les TALKING HEADS, ça aide). C'est ce qu'on voit clairement tout au long des différents concerts, que ce soit à Fréjus ou à Munich en 1982, ou au Japon en 1984. Dans un format plus court, est également disponible un reportage de TF1 (oui oui, c'est pas une vanne) où le groupe se fait interviewer à Bath. Il n'y a là pas grand-chose d'instructif, mais c'est toujours bon à prendre. Et puis il y a les deux seuls clips de la carrière de KING CRIMSON. Les deux sont cohérents dans leur manière d'aborder leurs musiques respectives, mais sur le plan esthétique, on va dire que ce n'est pas grave d'oublier "Heartbeat" – ni d'oublier Heartbeat tout court en fait. En revanche, le gros point noir est l'absence du passage de KING CRIMSON chez ABC en 1981. Pourquoi ? Deux raisons : primo, le groupe y avait livré ses meilleures versions de "Elephant Talk" et "Thela Hun Ginjeet", et de loin ; secundo, on échappe à un magnifique sourire de Robert Fripp.

On (and off) the Road, en plus de rassembler des concerts certes déjà disponibles depuis des années, se place en excellente rétrospective du KING CRIMSON des eighties. Un coffret exemplaire, et presque complet, aussi indispensable (ou presque parce que vu le prix...) que les autres.