Pour son troisième album, KING CRIMSON change aussi radicalement de registre que de musiciens. Fini le rock progressif facile à identifier, place à une musique dont la classification est ardue, mais se rapproche du jazz et du classique. D'ailleurs, la guitare de Fripp se fait incroyablement discrète, et laisse les autres instruments s'exprimer.

Lizard, donc, n'est pas loin d'être inclassable. En revanche, il est aisé de dire que Lizard est excellent d'un bout à l'autre. L'orchestration est assurée par un petit contingent composé de musiciens d'exception (Keith Tippett, Mel Collins, Mark Charig...), qu'accompagne le batteur Andy McCulloch, avec un jeu plus efficace que celui de Michael Giles et surtout très pertinent. Tout ceci se voit dès l'ouverture de l'album, le très réussi "Cirkus". Le chant de Haskell est assez incisif, ce qui rend d'ailleurs la chanson plus à même de frapper juste. Mais il y a nettement mieux que "Cirkus", et ce sur le même album. Je veux parler bien sûr de "Lizard", le morceau-fleuve qui occupe toute la face B. KING CRIMSON n'a créé qu'une seule pièce aussi longue et progressive, privilégiant des formats plus courts, mais nul doute qu'il souffre très bien la concurrence avec les autres poids lourds du genre. De l'intervention en guest de Jon Anderson au final violent et majestueux, il n'y a guère de quoi râler. Les flûtes de Collins, le mellotron de Fripp et les roulements de McCulloch créent une harmonie musicale solide, bien difficile à briser.

Entre les deux, les trois autres morceaux composant Lizard sont moins enthousiasmants. "Indoor Games" est un pendant plus « joyeux » de Cirkus, mais tout comme Cat Food sur l'album précédent, il traine en longueur. "Happy Family" aurait pu être une vraie torpille musicale, si le chant de Haskell n'était pas aussi dur à supporter, pour le coup, et "Lady of the Dancing Water" sert de petite collation avant le grand "Lizard", ou pour combler le vide de la face A, c'est selon l'édition que l'on possède. Ceci étant, il s'agit tout de même de chansons assez solides pour être qualifiées de bonnes par un public plutôt peu difficile.

De nos jours, Robert Fripp a tendance à ne pas regarder Lizard d'un bon œil, et il est vrai que certains amateurs ignorent complètement cet album. Erreur grave, car si dire que Lizard est accessible est un gros mensonge, il faut pour autant persévérer pour découvrir tout le génie musical à travers les 5 morceaux du troisième cru de KING CRIMSON.