L'année 2005 a vu l’émergence des deux premiers volumes du nouveau projet de John ZORN intitulé The Book of Angels, mettant en scène le JAMIE SAFT TRIO, puis le MASADA STRING TRIO. ZORN poursuit les enregistrements en toute intimité avec le duo aguerri que forment Sylvie COURVOISIER et Mark FELDMAN. Ce n'est pas la première fois que John ZORN convie ces musiciens puisque sur « Cobra » (2002), puis au sein du « Masada Recital » (2004), ils faisaient déjà la paire.
Pour interpréter les 300 compositions du répertoire du Book of Angels, Zorn est toujours à l'affût des formations les plus extraordinaires. Finalement, ses compositions ne sont que l'ossature mélodique à laquelle le New-Yorkais adjoint quelques instructions destinées aux interprètes. Comme en témoigne ce troisième volume, l'univers propre à chaque musicien/groupe n'a aucune peine à s'affirmer.

« Malphas » est l'occasion de (re)découvrir un couple bien en marge de tout conformisme musical. L'écoute de cet album est une expérience tout à fait périlleuse et dont l'intensité ne manque pas de panache. Dans un cadre où l'improvisation ne semble avoir aucune limite, Mark FELDMAN et Sylvie COURVOISIER s'emploient à une transgression vertigineuse du traitement sonore, gardant l'esprit de la musique klezmer en filigrane et provoquant de nombreuses variations émotionnelles.
Sonorités acides et distordues, dissonances grinçantes, phrases ponctuées d’onomatopées cinglantes, le vocabulaire employé est souvent des plus extrêmes. Parfois, cette poétique à la prosodie infernale domestique les thèmes écrits par John ZOHN avec une justesse bouleversante et audacieuse. Ainsi « Katziel », avec ses grandes exclamations et son allure dégingandée, semble tout droit sorti d'un cartoon à l'humour noir. « Lathariel » poussant le vice jusqu'à citer, sur un ton écorché, le plus fameux des thèmes de « Eine Kleine Nachtmusik » de MOZART, thème pourtant très pimpant à l'origine !
Certaines compositions savent aussi délivrer des mélodies d'une beauté fatale dont la mélancolie tantôt vaporeuse tantôt tragique est splendide. Citons, sans réserve aucune, un des joyaux du répertoire de ZORN qu'est « Rigal », mais aussi « Padiel » dont le ton désincarné évoque les bandes originales des films de David Cronenberg. Retenons également «  Paschal » qui, en conjuguant minimalisme et musique bruitiste, distille une atmosphère étrange mais aux vertus curieusement reposantes.

Cette musique à la géométrie variable a quelque chose de fascinant, mais se révèle quelquefois assommante lorsque sa nature expérimentale est poussée à son paroxysme. Il est donc fort ardu de s'aventurer à l'écoute de morceaux tels « Sammael », qui s'apparente à un marasme cacophonique. De même, « Sretil » clôture laborieusement l'album dans un fracas presque intolérable où se mêlent de manière schizophrénique crissements de cordes, citations de musique classique et martellements sourds du piano. On ne peut s'étonner de la présence de certains passages rebutants lorsqu'on se penche sur les productions FELDMAN/COURVOISIER indépendantes de ZORN.

« Malphas » est une des œuvres de John ZORN qui provoquera assurément un élan de dégoût de la part d'un public non-averti. Pourtant, malgré quelques saillies fastidieuses, cette collaboration entre Sylvie COURVOISIER, Mark FELDMAN et John ZORN mérite une attention particulière tant sa puissance est singulière.