Pour le 24ème volume du Book of Angels, John Zorn invite l'orchestre mexicain Klezmerson pour (ré)interpréter ses compositions ; encore une expérimentation inédite dans le répertoire de l'alchimiste New-yorkais. Toujours dans cet esprit de fusion des styles si chère à Zorn, le style de Klezmerson se distingue en mêlant la musique juive et ses dérivés aux rythmes endiablés traditionnels mexicains. Le groupe ne se retrouve pas en terre inconnue puisqu'il s'était déjà produit sous le label Tzadik en 2011.
Comme à son habitude dans la série du Livre des Anges, John Zorn choisit un personnage angélique ou démoniaque pour nommer et illustrer le volume. Amon est, selon le Lemegeton, traité de magie rituelle paru au 17ème siècle, un puissant marquis revêtant la forme d'un loup avec une queue de serpent. Intéressant pour les passionnés de mythologie...

Le volume 23 intitulé « Adramelech », joué par Zion80, nous avait marqué par la puissance qu'il dégageait et par son aspect viscéral. Ici il s'agit à nouveau d'un orchestre composé de son lot de cuivre, d'instruments à vents et à cordes... mais avec une approche bien différente !
Une esthétique colorée et proche de la musique centre américaine traditionnelle, illustrée notamment par la flûte et par une section rythmique typique. L'improvisation n'est clairement pas le nerf de l'album, même si certains titres présentent de fulgurantes envolées. L'accent est assurément apposé sur l'arrangement et sur les thèmes composés par John Zorn. Les fans de Secrets Chiefs 3 devraient trouver leur compte dans cet opus ne manquant pas d'exotisme, citons « Amabiel » comme exemple évident.

Amon est sûrement l'un des chapitres les plus marquant de la série tant son contenu sort de l'ordinaire. C'est un véritable plaisir de se laisser aller au gré de cette expérience musicale riche et un peu folle. L'alliage du trombone, du saxophone et de la trompette s'impose dans une atmosphère orageuse où les trois instruments scandent à l'unisson, comme la foudre s'abat sur le sol. Tandis que les jarana, requinto, leona et autres cousins locaux de la guitare viennent épicer le tout dans une discrétion maîtrisée.
Avec son violon virevoltant, sa flûte sifflotant joyeusement et ses cuivres massifs raisonnant tel un cor de guerre, « Iahmel » rayonne. Tandis que des mélodies énigmatiques et flottantes donnent vie à « Sehibiel ».

Les ambiances cataclysmiques laissent place à des mélopées bien plus festives (« Mashith ») où la flûte s'en donne à cœur joie. Certains morceaux donnent lieux à des conclusions complètement démentes, parfois à la limite d'une cacophonie paradoxalement très jouissive. Le klezmer se dessine ici et là, de manière plus ou moins timide ; « Yefefiah » y fait souvent référence. Soit dit en passant, ce morceau image superbement ce pouvoir qu'a Klezmerson d'installer un suspense, de l'étirer, de l'alimenter, pour enfin délivrer son courroux avec panache.

Il ne manque qu'une ou deux compositions chef-d’œuvre pour qu'Amon atteigne des sommets. En effet, c'est dans son ensemble que l'album brille, et certains morceaux écoutés de manière isolée manquent un tant soit peu de volume pour nous marquer durablement. Quoiqu'il en soit, Amon reste un chapitre remarquable dans la série du Livre des Anges. Klezmerson est un ensemble fort talentueux qui nous invite au dépaysement le plus total.