AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Nous sommes en 1996, et voici déjà le troisième disque de musique de film de John ZORN publié par Tzadik cette année-là. Devant cette intimidante profusion, il n’est pas inutile de rappeler comment John ZORN l’obsessionnel travaille pour le cinéma.

Tout d’abord, n’importe quel réalisateur, connu ou inconnu, riche ou pauvre, peut faire appel à lui, puisque producteur de sa propre musique, ZORN accepte volontiers de la laisser pour rien. A quelques conditions tout de même : qu’il en conserve les droits, et que le réalisateur accepte de n’avoir pas voix au chapitre sur les thèmes composés ou le type d’orchestre choisi. Oh bien sûr, le cinéaste pourra toujours décider d’utiliser une autre musique*, mais celle de ZORN sera à prendre ou à laisser.
Pendant de cette liberté de composition, il y a la contrainte de temps. ZORN étant un homme pressé, il s’oblige à ne composer qu’en quelques jours et à réaliser l’enregistrement ET le mixage la même journée.
Voilà qui est typique de la démarche artistique de ZORN qui aime à naviguer entre les deux extrêmes de la création artistique : liberté totale d’un côté, respect d’une règle de l’autre. Les "Filmworks" sont une des illustrations de ce mouvement de balancier. Il explique d’ailleurs leur côté inventif et brouillon, ZORN s’appuyant sur eux pour tester des idées ou des groupes, quitte à développer la musique obtenue dans un second temps, pour la partie plus personnelle de son œuvre.

Filmworks 6 ne déroge pas à ces règles et propose 3 de ces musiques de films contraintes et libres.
On trouve malheureusement fort peu de choses sur "Anton Mailman", de Dina Waxman. John ZORN lui-même ne parlant pas du tout du film dans les notes de l’album – il préfère évoquer les conditions désastreuses de l’enregistrement –, pas sûr que le résultat soit inoubliable. Qu’importe : on voit bien ici l’intérêt artistique et la générosité de la démarche du New-Yorkais, qui permet à une réalisatrice débutante de s’offrir un quartet de luxe pour accompagner son court-métrage. La musique, bourrée de percussions et de guitare surf, est légère et plaisante. Rien d’inoubliable a priori, mais cela reste bon, voire davantage grâce à "End Title", qui annonce évidement le Zevulun du BAR KOKHBA SEXTET, à paraître deux ans plus tard. On vient de vous le dire, les "Filmworks" sont un laboratoire**.

Mechanics of the Brain est à la base un film de Vsevolod Pudovkin datant de 1926. Il s’agit d’un documentaire sur les expérimentations d’Ivan Pavlov, le médecin russe, sa cloche et son chien. Henry Hills, cinéaste expérimental, s’en empare pour en donner une vision toute personnelle en filmant des danseurs. Pour remplacer le chien ou la cloche ? Je l’ignore.
Le film est expérimental, et la musique également. Plutôt réussie, elle offre quelques excellents moments pourvu qu’on ait le goût du fracas zornien : les enchevêtrements de cordes succèdent aux bruits de métal frappé ou à d'amusants bruits de gorge, la guitare de RIBOT servant à envelopper le tout d’une empreinte surf graisseuse à souhait.

The Black Glove, c’est une autre paire de manches. Retrouvant Maria Beatty***, et donc une pornographie lesbienne soft agrémentée de fétichisme, de chaines et de cordes, John ZORN propose une "composition" à base de bruits de pas – de talons aiguilles, évidemment ! - d’eau, de vent et de feu. Même si elle n’est nullement déplaisante en guise de fond sonore, et que les quelques images trouvées sur le tube indiquent qu’elle accompagne tout à fait bien le noir et blanc un peu cliché du film, il faut tout de même un certain courage pour s’enfiler les 30 minutes de bruitisme terne que la composition constitue. Disons-le autrement : sans le film, l’accompagnement n'a guère d'intérêt.

Filmworks 6 laisse perplexe. Si "Anton Mailman" et "Mechanics of the Brain" sont parfois bons et même davantage, les 30 minutes de "The Black Glove", dispensables, font finalement pencher la barque du disque du côté des productions moyennes n’ayant en fait qu’une seule visée : répondre au besoin maniaque de l’exhaustivité de John ZORN.


*Cela fut le cas pour Filmworks 2.
**Rappelons que le premier enregistrement du groupe MASADA provient également d’une musique de film, à écouter sur Filmworks 3.
***Sur leur collaboration antérieure, voir Filmworks 4.