Ah, le nombre de La Bête, le fameux 666 ! Il alimente tout un pan de la culture, aussi bien religieuse que populaire, avec sa légion d’images grand-guignolesques, sans que l’on y comprenne forcément grand-chose. C’est vrai, quoi, pourquoi 666 ? C’est quoi, cette bête ?
Cultivons-nous en lisant un passage de l’Apocalypse, et tâchons de percer le mystère : "À tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, elle impose une marque sur la main droite ou sur le front. Et nul ne pourra acheter ou vendre, s’il ne porte la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. C’est le moment d’avoir du discernement : celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête, car c’est un chiffre d’homme : et son chiffre est six cent soixante-six. " (Ap 13, 16-18).
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, ce n’est pas très éclairant. Cela n’a pas empêché bon nombre d’auteurs de s’emparer de ces quelques lignes et de les interpréter, bâtissant des théories plus ou moins hermétiques, proposant une lecture du monde à grands renforts de symboles et parfois de magie, noire ou blanche selon les besoins.

IAO, selon son livret, c’est la transcription du nombre de la Bête pour la Kabbale, autre extraordinaire compilation de théories pour lesquelles le mécréant que je suis a peu de goût, pardon à tous les Dieux passés, actuels et à venir.
IAO est donc lié à la Bête, mais on raccrochera plus largement l’album au goût de ZORN pour l’occulte, goût qu’il va développer tout au long des années 2000 et jusqu’à aujourd’hui, inspiré alternativement par sa version torturée et sombre – Aleister Crowley en tête, formant ici un duo démoniaque et avec le cinéaste expérimental Kenneth Anger* – ou plus lumineuse, la lecture des auteurs gnostiques lui inspirant la très belle série des Œuvres Mystiques, et surtout des albums du "Gnostic Trio".

Présenté comme faisant partie des "File Cards**", IAO ne raconte cependant aucune histoire. Il s’agit plutôt de variations autour d’un même thème. Mitonné par différents groupes d’artilleurs (dont Cyro BAPTISTA, Mike PATTON, Bill LASWELL, etc.), l’album est en fait une nouvelle démonstration assez ébouriffante du savoir-faire de ZORN.
Si l’on n’est pas obligé de prendre sa démarche invocatoire au sérieux, on retrouve ce que l’on aime chez lui : une extraordinaire capacité à déployer tout un univers autour d’une idée plutôt qu’autour d’un style musical en particulier. Et même si, sur cet album, l’orgue et les percussions semblent dominer, le compositeur se permet de nombreux détours.
Pour le côté sérieux, on goûtera l’ambient recueilli et inquiétant d’"Invocation", les percussions poussant à la transe de "Sex Magick" ou la douceur de "Mysteries". Mais chez ZORN, tout se mélange, et il ne saurait évoquer le Diable sans également lui consacrer quelques titres très cinématographiques tendance bis, tel "Sacred Rites of the Left-Hand", qu’on croirait sorti de Suspiria***, ou "Lucifer Rising", dont les chœurs d’hommes et de femmes évoquent davantage l’érotisme faussement torride d’un d’un giallo que l’austérité d’un ordre monastique. Il ne restait plus que l'expérimental pour compléter le tableau : "The Clavicle of Solomon" s'en charge, dont les stridences rappellent Kristallnacht, la violence étant moindre.

IAO est un disque varié, mais qui a sa propre unité diabolique. ZORN réussit ici ce qu’il avait plus ou moins raté avec Music For Children : compiler des groupes et des instrumentations variés formant finalement un tout. Hautement recommandable, IAO mérite un solide 4. Pourquoi pas 5 ? Sa limite est évidente : bien qu’on l’ait écouté à de nombreuses reprises, du Diable on ne vit jamais la queue.



* Selon wikipédia "[…]ses films mêlent à des degrés divers le surréalisme à l'homoérotisme et à l'occultisme, et sont décrits comme contenant des éléments érotiques, documentaires, du psychodrame, et du spectacle". Voilà qui est très Zorn-compatible en effet.
**Spillane, Godard, Elegy, etc.
***Film de Dario Argento, musique de GOBLIN.